Pleins feux sur la vaccination

ARTICLE SPECIAL - Juillet 2003

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Contrôleurs de fioles de vaccin - la fin de l'attente ?

Un dispositif simple pourrait protéger les enfants contre l'administration de vaccins endommagés par la chaleur et permettre d'économiser des millions de dollars en réduisant le gaspillage. Phyllida Brown mène l'enquête.

©Philippe Blanc/WHO

CHAQUE année, des millions de doses de vaccin sont jetées par crainte qu’elles n’aient été endommagées par la chaleur, qu’elles l’aient été ou non en réalité. Les dégâts causés par la chaleur ne sont pas visibles, et par conséquent, au cours de leur formation, les travailleurs de la santé apprennent qu’ils doivent jeter tout vaccin qu’ils soupçonnent d’avoir été exposé à la chaleur, par exemple après deux sorties sur le terrain. Plus grave encore : dans certains cas où la chaîne du froid a été interrompue sans que l’on s’en aperçoive, on administre probablement aux enfants des vaccins endommagés par la chaleur qui n’ont plus aucune vertu immunisante.

Mais ces problèmes sont largement évitables. Depuis 1996, un outil appelé Contrôleur de fiole de vaccin (Vaccine Vial Monitor, VVM) est disponible. Il s’agit d’une étiquette imprégnée d’une substance sensible à la chaleur. Collée sur une fiole de vaccin, elle réagit à l’exposition à la chaleur au fil du temps, comme par exemple lorsqu’un bloc de glace fond ou que le réfrigérateur s’arrête de fonctionner suite à une courte panne d’électricité. A mesure que le temps passe, sa couleur fonce. Plus la température est élevée, plus la couleur change rapidement. L’étiquette indique clairement quand l’effet cumulé d’une exposition répétée à la chaleur a atteint le point où le vaccin doit être jeté (voir figure 1). Tant que le vaccin n’a pas atteint ce point de mise au rebut ni la date de péremption, il peut être utilisé même s’il a été sorti du réfrigérateur plusieurs fois (voir « Comment ça marche ? », encadré 1).

« Utilisé correctement, ce dispositif peut être un outil miracle permettant de réduire le gaspillage et d’éviter l’utilisation de stocks endommagés par la chaleur », observe Ümit Kartoglu, du Département des Vaccins et Produits Biologiques de l’OMS. Au Bhoutan, une étude a montré que le gaspillage de vaccin antipoliomyélitique a diminué de 49 % grâce aux VVM(1). Des résultats comparables ont été rapportés à la suite d’études effectuées au Népal, en Turquie, au Ghana, au Kenya, au Soudan, en Tanzanie et au Vietnam. Les avantages sont encore plus évidents lors des journées nationales de vaccination, lorsque d’importants volumes de vaccins sont transportés jusqu’aux villages, mais les VVM peuvent aussi permettre de réduire le gaspillage lors de programmes de vaccination systématique, en particulier dans les zones rurales reculées où les équipes doivent parcourir de grandes distances pour atteindre les enfants. Cette technologie est peu coûteuse, chaque VVM n’augmentant que de quelques cents le prix d’une fiole et permettant des économies nettes. L’UNICEF et l’OMS ont estimé que, vu les taux de gaspillage typiques, l’utilisation de VVM pour les seuls vaccins de base pourrait permettre d’économiser environ $5 millions par an(2). Avec l’introduction de vaccins plus chers, comme les vaccins contre l’Hemophilus influenzae type b (Hib) et la fièvre jaune, les économies seraient d’un ordre de grandeur bien supérieur.

Figure 1 : Comment lire un contrôleur de fiole de vaccin
Le carré intérieur est plus clair que le cercle externe. Si la date de péremption n’est pas dépassée,
UTILISER le vaccin.
Un peu plus tard, le carré intérieur est toujours plus clair que le cercle externe. Si la date de péremption n’est pas dépassée,
UTILISER le vaccin.
Point de mise au rebut : le carré intérieur est de la même couleur que le cercle externe.
NE PAS utiliser le vaccin.
Point de mise au rebut dépassé : le carré intérieur est plus foncé que le cercle externe.
NE PAS utiliser le vaccin.

Comme les VVM peuvent indiquer des interruptions non détectées de la chaîne du froid, il se peut qu’au départ le nombre de fioles à jeter augmente. Mais, en identifiant ces défaillances, ils assureront la protection des enfants, ainsi que l’amélioration, à la longue, de la qualité de la chaîne du froid.

Alors pourquoi tous les vaccins ne s’accompagnent-ils pas d’un VVM ? Seul le vaccin antipoliomyélitique, le vaccin le plus sensible à la chaleur parmi ceux qui sont utilisés dans le cadre du Programme élargi de vaccination, est doté d’un VVM depuis 1996. Bien que l’UNICEF et l’OMS demandent aux fabricants de fournir des VVM avec tous les vaccins depuis 1999, et que les VVM fassent partie des exigences minimales en ce qui concerne les appels d’offres de l’UNICEF depuis 2000, les VVM ne sont toujours disponibles qu’auprès d’une minorité des 23 fabricants fournissant des vaccins aux institutions des Nations Unies. Ils figurent sur certaines fioles de vaccins BCG, de vaccins contre la fièvre jaune, la rougeole, l’hépatite B, et à base d’anatoxine tétanique, mais pas sur toutes. Certains vaccins polyvalents portent aussi des VVM, y compris les vaccins RR, ROR et DTC-Hib liquide(3).

Lors de sa réunion à Dakar en novembre 2002, le Conseil d’administration de GAVI a décidé que tous les vaccins achetés par le Fonds mondial pour les vaccins s’accompagneraient de VVM après 2003. Lors de la réunion du Conseil d’administration ce mois-ci, les membres représentant l’industrie du vaccin présenteront aux autres membres une mise à jour sur les mesures prises par l’industrie pour satisfaire à cette exigence.

L’OMS, l’UNICEF et les autres membres de l’Alliance travaillent en collaboration avec l’industrie et ont bon espoir d’arriver progressivement à un consensus. A l’heure actuelle, les fabricants ne sont pas tous du même avis sur la question des VVM. Certains, comme Chiron en Italie, Japan BCG, Green Cross Vaccine Corporation, LGLS et l’Institut Pasteur à Dakar, au Sénégal, les ont introduits sur les produits vendus à l’UNICEF. D’autres fabricants ont clairement l’intention de les introduire. Par exemple, observe Walter Vandersmissen, de GlaxoSmithKline en Belgique, il est prévu que le vaccin tétravalent DTC+HepB fabriqué par la société soit équipé d’un VVM dans le courant de l’année, et que son vaccin pentavalent DTC+HepB+Hib suive début 2004. Le Serum Institute of India (SII) a validé les VVM sur ses produits et, à en croire Suresh Sakharam Jadhav, du SII, ce processus touche maintenant à sa fin. L’introduction progressive des VVM commencera en janvier 2004.

Aventis Pasteur équipe son vaccin antipoliomyélitique oral de VVM depuis 1996 et la société reconnaît les avantages de ce dispositif pour les vaccins très sensibles à la chaleur. Mais elle dit avoir « certaines réserves » quant à l’utilisation systématique de VVM sur tous les vaccins destinés aux pays en développement, et elle n’en a pas encore mis sur ses autres produits concernés. Néanmoins, la société Aventis Pasteur dit qu’elle a évalué la faisabilité d’étendre l’utilisation des VVM à trois de ses produits : les vaccins DTC-Hib, contre la fièvre jaune et antirougeoleux. « Aventis Pasteur s’est donné jusqu’à fin 2003 pour achever son étude de faisabilité, et nous espérons alors être en mesure de répondre aux besoins spécifiques de GAVI », déclare un porte-parole de la société.

1: Comment ça marche ?

Le contrôleur de fiole de vaccin (Vaccine Vial Monitor, VVM) consiste en un cercle de couleur comportant un carré pâle en son milieu. Il peut être imprimé sur une étiquette ou attaché à la capsule d’une fiole de vaccin, ou encore au col d’une ampoule. Le carré intérieur fonce progressivement et devient, au bout d’un certain temps, de la même couleur que le cercle externe. Lorsque le carré intérieur est de la même couleur que le cercle externe, le vaccin a atteint son point de mise au rebut.

Le changement de couleur est dû à une réaction chimique appelée polymérisation. Sous l’effet de la chaleur et au fil du temps, la substance initiale, monomère, se transforme irréversiblement en un polymère. La réaction chimique s’accélère lorsque la température augmente. Comme le niveau de sensibilité à la chaleur varie en fonction du type de vaccin, les VVM sont de quatre types dont la vitesse de changement de couleur à des températures spécifiques a été conçue de manière à refléter ces différents niveaux de sensibilité à la chaleur. Le type de VVM qui est utilisé pour un vaccin particulier est le type adéquat pour la stabilité de ce vaccin à la chaleur. Par exemple, le VVM2 est conçu pour le vaccin antipoliomyélitique oral, le vaccin le moins stable à la chaleur parmi ceux qui sont utilisés dans le cadre du Programme élargi de vaccination, celui-ci atteignant son point de mise au rebut au bout de deux jours à 37° C. A l’opposé, le VVM30 convient à certains types de vaccins contre l’hépatite B, qui sont relativement stables à la chaleur et restent intacts jusqu’à 30 jours à 37° C.

Le VVM ne mesure pas l’efficacité d’un vaccin, mais tout simplement son exposition à la chaleur. L’exposition à la chaleur est l’un des principaux facteurs qui peuvent affecter l’efficacité des vaccins. Les VVM n’indiquent pas si un vaccin a gelé, autre source potentielle de dégâts, en particulier pour le vaccin contre l’hépatite B.

Certains fabricants n’ont pas caché leurs doutes quant à la précision technique des VVM et à leur validation. Mais les VVM sont validés rigoureusement, à la fois dans les laboratoires du fabricant de VVM LifeLines, au New Jersey, Etats-Unis, et dans les laboratoires des fabricants de vaccins qui les utilisent actuellement. Chaque lot est testé en étant exposé à la chaleur dans des bains d’eau et au moyen d’un densitomètre mesurant la réflectance de la couleur, afin de s’assurer que le VVM change de couleur correctement en fonction de l’exposition à la chaleur. Les fabricants de vaccin effectuent également des essais avant d’accepter chacune des cargaisons envoyées par le fabricant de VVM. L’OMS a chargé divers laboratoires indépendants de réaliser des essais, comme par exemple le National Institute for Biological Standards au Royaume- Uni, de manière à pouvoir comparer ces résultats avec ceux des fabricants. « Nous avons fait part des résultats de ces études à tous les membres de l’industrie, et aucun n’a soulevé de questions », explique Kartoglu.

Néanmoins, certains au sein de l’industrie craignent que GAVI Pleins feux sur la vaccination • Juillet 2003 • Page 5 de 7 les fabricants ne soient tenus pour responsable dans l’éventualité de produits équipés de VVM « sûrs » auxquels on pourrait attribuer plus tard des effets indésirables. Cependant, rappelle Kartoglu, les préoccupations en matière de responsabilité ne datent pas d’aujourd’hui. Tous les fabricants de vaccins courent le risque d’être tenus pour responsable en cas d’effets indésirables attribués à leurs produits, et les VVM ne changent en rien la situation. Au contraire, les VVM devraient réduire le risque qu’un fabricant ait à répondre d’effets indésirables, puisqu’ils rendent l’utilisation des produits endommagés par la chaleur moins probable. Le risque qu’un VVM ne fonctionne pas sur le terrain est purement théorique, dit Kartoglu : il s’agit d’un dispositif validé qui fait l’objet d’une vérification, lot par lot, par le producteur. Les fabricants qui utilisent les VVM effectuent déjà des contrôles réguliers sur le producteur. Et, comme pour tout autre produit utilisé dans la fabrication des vaccins, le fabricant de vaccins vérifie chaque lot dans le cadre de sa procédure d’acceptation des produits. En six ans d’utilisation, sur plus de 800 millions de fioles de vaccin équipées d’un VVM, aucun cas d’enfant ayant reçu un vaccin endommagé par la chaleur suite à un VVM défaillant n’a été enregistré.

Pour certains fabricants de vaccins, les contraintes les plus fortes ne sont pas d’ordre technique, mais logistiques ou économiques. Aventis Pasteur a confié à Pleins feux sur la vaccination que, parmi les réserves qui sont les siennes concernant l’utilisation universelle des VVM pour les pays en développement, figurent l’importance de l’investissement par rapport au retour prévu, et le fait préoccupant qu’il n’existe actuellement qu’un seul fabricant de VVM. Aventis Pasteur a également quelques soucis sur la manière de gérer son propre stock, étant donné que les VVM ne sont exigés que sur les vaccins fournis par l’intermédiaire de l’UNICEF, et non pas actuellement sur les vaccins fournis par l’intermédiaire de l’Organisation panaméricaine de la santé (OPS).

Contrats fermes d’achat de vaccins

Vandersmissen, de GSK, fait remarquer que la société risque de perdre de la souplesse au niveau de l’utilisation de sa chaîne de remplissage si elle doit ajouter des VVM à certains vaccins. Selon lui, les fabricants de vaccins seraient davantage disposés à consacrer de la place et une capacité aux produits équipés de VVM si les acheteurs du secteur public passaient avec eux des contrats fermes spécifiant l’achat d’une quantité donnée de vaccins. A l’heure actuelle, seul un « accord reposant sur l’honneur » existe tant que les vaccins n’ont pas été achetés, et cette incertitude fait que les fabricants sont peu disposés à risquer la mise en place d’une capacité qui pourrait s’avérer inutile.

Certains fabricants hésitent à introduire une nouvelle technologie qui, selon eux, devra encore passer par de nombreux stades de réglementation. L’OMS estime qu’il relève de la responsabilité de chaque fabricant individuel de contacter l’organisme national de réglementation de son pays pour obtenir toute approbation dont il pourrait avoir besoin concernant les VVM. Cependant, l’OMS a déjà pris des mesures visant à déterminer la position de certains pays, et continuera de travailler de manière informelle avec les organismes de réglementation sur cette question. La France et la Belgique ont fait savoir à l’OMS que les VVM n’avaient pas besoin d’une approbation de leur organisme national de réglementation respectif. Aux Etats- Unis, pour les vaccins distribués sous licence, les fabricants devront obtenir un complément à leur demande de licence, et les vaccins qui ne s’accompagnent pas d’une licence de distribution aux Etats-Unis devront satisfaire au contrôle des exportations. Toutefois, selon l’OMS, ceci n’est pas difficile à réaliser.

L’UNICEF, en tant que principal acheteur de vaccins du secteur public, a la responsabilité de communiquer à ses fournisseurs des messages clairs concernant les VVM. « Nous travaillons en collaboration avec tous les fabricants pour assurer la mise en oeuvre des VVM au plus tôt », observe Shanelle Hall, de la Division Approvisionnement de l’UNICEF. Elle souligne que, du fait qu’il existe si peu de sociétés fabriquant certains vaccins, l’UNICEF n’a pas toujours le choix ; pour être sûr de disposer d’un nombre suffisant de doses, l’UNICEF est parfois contraint, pour le moment, d’acheter des vaccins sans VVM. « En intégrant les VVM dans les caractéristiques techniques des vaccins, et grâce à un dialogue permanent avec les fabricants, nous augmentons le nombre de vaccins équipés d’un VVM que nous recevons. » Hall ajoute qu’il serait utile que les autres acheteurs exigent aussi des VVM. Des mesures en vue d’introduire les VVM dans la région de l’OPS sont à l’étude. Les responsables des programmes dans les pays de l’OPS se réuniront en fin d’année au Pérou pour discuter des options possibles.

Mercy Ahun, ancien responsable du programme national de vaccination au Ghana, et travaillant aujourd’hui au Secrétariat de GAVI, ne laisse pas d’équivoque. « Les VVM représentent actuellement l’une des meilleures contributions que les fabricants de vaccins puissent apporter à la survie des enfants. »

Références

  • Vaccine Vial Monitor Impact Study Results. Royaume du Bhoutan. De juillet 1997 à novembre 1998. Programme de Technologie Appropriée en Santé, Seattle, 1999.
  • Quality of the cold chain. WHO­UNICEF policy statement on the use of vaccine vial monitors in immunization services. WHO/V&B/99.18
  • United Nations Prequalified Vaccines (juin 2003). www.who.int/vaccines­access/quality/un_prequalified/ prequalvaccinesproducers.html

Lecture complémentaire

  • Getting started with vaccine vial monitors. WHO, 2002. WHO/V&B/02.35

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