Pleins feux sur la vaccination

ARTICLE SPECIAL - Avril 2003

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Pas seulement de meilleurs soins de santé, mais aussi une meilleure qualité de vie

Un projet ingénieux dans le nord du Mozambique vise à améliorer la fourniture de services de santé, à créer des revenus à partir de la vente de combustible non polluant et même à libérer les enfants pour qu’ils puissent faire leurs devoirs. Reportage de Phyllida Brown


© VillageReach

EN 2000, alors que le Mozambique est victime d’inondations parmi les plus dévastatrices de son histoire, un homme d’affaires d’origine camerounaise nommé Blaise Judja-Sato se rend sur place pour participer à l’action humanitaire. Ce qu’il voit le touche profondément. « J’ai été frappé par la faiblesse de l’infrastructure et le ressort impressionnant de la population locale malgré les défis intimidants auxquels elle se voyait confrontée », se souvientil. Il rencontre Graça Machel, ancienne ministre de l’éducation et l’épouse de Nelson Mandela, et lui demande quelle contribution il peut bien apporter.

Judja-Sato quitte son poste de directeur du développement commercial international chez Teledesic LLC, société cofondée par Bill Gates opérant dans le secteur des satellites à large bande, et crée VillageReach, organisation non gouvernementale basée aux Etats-Unis. En 2001, VillageReach commence à travailler en association avec la Fondation pour le développement des communautés et le gouvernement national du Mozambique dans la province la plus septentrionale de Cabo Delgado, afin d’améliorer l’accès de la population aux soins de santé, et aussi dans l’intérêt des ménages, de l’économie locale et de l’environnement.

Cabo Delgado est une province isolée, située à quelque 1 440 km de la capitale, Maputo. Les revenus y sont minimes, les routes en mauvais état et les soins de santé rudimentaires. Près de la moitié de la population habite à plus de deux heures à pied d’un centre de santé, et les femmes qui emmènent leurs enfants au dispensaire se sont habituées à ce qu’il n’y ait pas de vaccins en stock, ni de médicaments appropriés, ou bien à ce que le réfrigérateur dans lequel sont conservés les vaccins soit en panne. D’après une enquête (1) menée l’année dernière dans la province, 29 % seulement des bébés avaient été complètement vaccinés, ce qui est bien inférieur à la moitié du taux moyen pour le Mozambique.

Pour résoudre les problèmes logistiques du service de santé, VillageReach a passé un contrat avec le Ministère de la Santé en vue de livrer des vaccins et des médicaments aux dispensaires de Cabo Delgado. Ce contrat, entré en vigueur l’année dernière, couvre également la fourniture et l’entretien de l’équipement de la chaîne du froid - principalement des réfrigérateurs - et autres appareils essentiels pour les dispensaires, tels que lampes et stérilisateurs. Et comme le principal objectif est d’atteindre les ménages mal desservis, Village- Reach travaille aussi avec le Ministère de la Santé pour élargir le rayon d’action du personnel en lui fournissant, entre autres, des bicyclettes.

Mais ce partenariat, baptisé Projet Mozambique Nord, ne se contente pas d’assurer la fourniture d’un service de santé. « Nous sommes en train d’élaborer un modèle novateur visant à améliorer de plusieurs manières la qualité de vie des populations les plus difficiles à atteindre », déclare Judja-Sato. Plutôt que de définir les besoins uniquement au niveau du système de santé, VillageReach et la Fondation pour le développement des communautés ont identifié un besoin en développement de plus grande envergure et ont entrepris d’y répondre.

Idées novatrices : Blaise Judja-Sato
© VillageReach

Ils ont exploré plusieurs possibilités de générer des revenus en parallèle avec leur travail sur la logistique des soins de santé, comme par exemple l’utilisation de camions qui livrent les vaccins pour ramener un chargement de légumes cultivés par les exploitants locaux destinés à la vente. La plupart de ces suggestions ont été jugées irréalisables. Judja-Sato a abordé la question avec des collègues au Mozambique et à l’étranger, y compris avec le Dr Michael Free, vice-président chargé de la technologie dans le cadre du Programme de technologie appropriée en santé (PATH) à Seattle.

Puis il leur est venu une idée : fournir un combustible non polluant et fiable, non seulement pour la chaîne du froid, mais aussi pour la communauté toute entière. « Nous débattions de toutes sortes d’idées et celle-ci s’est dégagée », raconte Free. Une alimentation fiable en énergie est d’une importance capitale pour le fonctionnement efficace de la chaîne du froid. Traditionnellement, les réfrigérateurs et les lampes des dispensaires ruraux dans les pays à faibles revenus comme le Mozambique fonctionnent au kérosène. Mais les livraisons de kérosène peuvent être irrégulières et les réfrigérateurs qui marchent au kérosène sont inefficaces, peu fiables et difficiles à réparer.

En dehors des dispensaires, les pénuries de combustible sont tout aussi répandues et perturbantes. La plupart des familles comptent sur le ramassage de bois de chauffage ou l’achat de charbon pour cuisiner leurs repas, mais les arbres sont en diminution et le sol dénudé s’érode. La tâche demande de plus en plus de temps, et les femmes et les enfants y passent des heures chaque jour. Le long de la côte, les gens se mettent à brûler les palétuviers, mais ceci commence à réduire l’habitat de plusieurs espèces de poissons et de crevettes qui sont importantes pour l’industrie locale de la pêche. La seule autre option est le kérosène, mais il est à l’origine de nombreux incendies dans les maisons et de l’empoisonnement accidentel d’un trop grand nombre de jeunes enfants.

« Travaux forcés » : le temps gagné du fait de ne plus avoir à ramasser du bois de chauffage peut être mis à meilleur profit
© VillageReach

« Nous nous sommes rendu compte que la chaîne du froid était le principal problème, mais nous savions que nous ne pouvions pas concentrer nos efforts uniquement là-dessus », explique Judja-Sato. « Il faut adopter une approche globale et rigoureuse, et essayer d’aborder le problème à la lumière de l’expérience acquise dans le domaine commercial. »

VillageReach et la Fondation pour le développement des communautés ont décidé de remplacer les anciens réfrigérateurs qui fonctionnaient au kérosène par de nouveaux modèles plus efficaces qui marchent au gaz de pétrole liquéfié (GPL), parfois appelé propane. Pour assurer l’approvisionnement régulier de gaz, ils ont créé une compagnie nommée VidaGas, société mozambicaine à but lucratif, disposant de sa propre usine de distribution à Pemba, ville principale de Cabo Delgado. Le gaz est acheminé du port par camion-citerne et entreposé à l’usine de distribution, inaugurée en novembre dernier, d’où il est vendu au Ministère de la Santé en bouteilles de 11 kilos. VidaGas travaille également en collaboration avec les Ministères de l’Energie et de l’Environnement, et commence maintenant à vendre du gaz aux particuliers et aux petites entreprises locales, telles que restaurants et hôtels. Les bénéfices de ces ventes aident à financer les activités de VillageReach au Mozambique. Le gaz fera une grande différence au niveau de la vie au quotidien et de l’environnement.

Au lieu de passer des heures à ramasser du bois de chauffage, les enfants peuvent aller à l’école et les femmes consacrer plus de temps à leur éducation, à élever les enfants et à travailler dans les petites entreprises. Une fois le repas préparé, le brûleur du fourneau peut être dévissé de la bouteille de gaz et remplacé par un accessoire pour lampe. Pour la première fois, les enfants peuvent faire leurs devoirs après la nuit tombée. Les adultes cuisinant sur un fourneau à gaz souffrent moins de problèmes respiratoires que lorsqu’ils cuisinent au bois ou au charbon et leurs bébés ont moins d’infections. VidaGas vend aux ménages un kit de base comprenant un brûleur, une lampe et une bouteille de gaz de 5 kg pour environ $45. VillageReach et ses partenaires locaux s’efforcent de mettre en place un système de microprêt pour permettre aux familles de payer ce matériel sur plusieurs mois.

Pour lancer le projet, Judja-Sato a travaillé avec une équipe, dont faisaient partie Lionel Pierre, un Haïtien qui travaille depuis des années dans les soins de santé et la logistique du transport dans les pays en développement avec l’OMS et d’autres organisations, et Didier Lavril, un expert en énergie français ayant acquis une expérience spécifique de l’utilisation du GPL dans le contexte africain.

Engagement du gouvernement

Le soutien de Graça Machel, Présidente de la Fondation, a été crucial pour le succès du projet. « Graça nous a conféré la crédibilité nécessaire et nous a permis de faire de notre idée conceptuelle une réalité concrète par la mise en oeuvre d’un programme », confie Judja-Sato. Il attribue une grande partie du succès du projet au gouvernement du Mozambique, dont le rôle a été déterminant. « Ce projet n’aurait pas été possible sans les efforts scrupuleux et l’engagement du gouvernement. La bonne volonté dont il a fait preuve en acceptant d’essayer de nouvelles solutions en réponse à des problèmes de longue date est louable et nous a permis de travailler rapidement et efficacement. »

Pierre décrit les scénarios « avant » et « après » dans les dispensaires. Avant, les réfrigérateurs étaient vieux, l’entretien déplorable et la formation des utilisateurs inexistante. Le personnel de santé des districts restait impuissant, les techniciens n’avaient aucun moyen de transport et pas d’argent pour intervenir là où c’était nécessaire. Pour certains vaccins, les pertes atteignaient jusqu’à 80 %. Aujourd’hui, des réfrigérateurs à gaz sont en place dans 36 dispensaires - c’est un début - et desservent quelque 800 000 personnes, soit la moitié de la population ; ceci passera à 90 % lorsque les 17 districts de la province auront tous été équipés.

Les bouteilles de gaz sont livrées initialement aux dispensaires par VillageReach, qui assure aussi le premier plein de gaz. Par la suite, les pleins sont financés à partir du budget de santé du district, sur la base d’estimations de taux de consommation connus, explique Pierre.

Les membres du personnel local de VillageReach et ceux du personnel de santé du gouvernement reçoivent tous une formation sur l’entretien des réfrigérateurs et des pièces de rechange sont disponibles. La formation se poursuit et les conditions de stockage des vaccins se sont considérablement améliorées, celles-ci faisant maintenant l’objet d’un contrôle mensuel. VillageReach introduit aussi du matériel et des procédures visant à améliorer la sécurité des injections. Dans le cadre de cette initiative, un système de réglementation de l’approvisionnement en vaccins a été mis en place afin d’éviter les ruptures de stocks et le gaspillage au moyen d’une gestion digne de ce nom.

Ceci présente aussi des avantages pour l’économie locale : non seulement VillageReach a formé et employé une équipe chargée de la fourniture et de l’entretien de la chaîne du froid, mais elle a créé des emplois au niveau local, par exemple pour l’entretien des camions et la maintenance de l’usine de distribution VidaGas. « Les gens ont du travail, jouissent d’une plus grande dignité personnelle et on se trouve en présence d’un enchaînement positif », fait observer Free. Et, comme le souligne Lavril, le projet devra permettre de lutter contre le déboisement et de réduire les émissions de gaz à effet de serre, en limitant l’usage inapproprié de biocombustibles. Si l’on abat moins d’arbres, ajoute-t-il, l’érosion du sol sera moins importante et l’impact des inondations devrait s’en trouver réduit.

Carlos Fumo, Directeur général de la Fondation à Maputo, est satisfait des progrès accomplis jusqu’ici. « L’objectif final est de s’assurer que les enfants ont un meilleur accès aux vaccins, et d’assurer une meilleure qualité de vie aux communautés mozambicaines. » Les vaccins, même s’ils étaient entreposés et transportés dans les conditions les plus parfaites, ne serviraient à rien, dit Fumo, s’ils ne parvenaient pas, en fait, jusqu’aux enfants. Il est donc enchanté de pouvoir dire que le nombre d’enfants complètement immunisés a augmenté de 40 % dans le périmètre du projet, dans un laps de temps relativement court, c’est-à-dire depuis le lancement de celui-ci. /p>

Le rôle principal de la Fondation, explique Fumo, est maintenant d’éduquer et d’informer les communautés. « Nous devons nous assurer que la population locale adopte le programme. » Il est fier de la collaboration entre les secteurs privé et public.

Personne ne prétend que le projet est sans risque. La vente de gaz peut-elle rapporter suffisamment d’argent pour assurer la viabilité du projet à long terme ? Est-ce qu’un nombre suffisant de gens aura les moyens d’acheter le brûleur, la lampe, voire même le gaz pour garantir la viabilité du volet commercial de ce projet ? Même s’il revient moins cher de cuisiner au gaz qu’au charbon, il faut payer plusieurs semaines de gaz à l’avance, alors que le charbon peut s’acheter au quotidien. Certaines familles ne disposent tout simplement pas de telles sommes d’argent. « Mais je pense qu’il s’agit d’un modèle extrêmement intéressant et tout à fait viable », affirme Free, membre du conseil d’administration de VillageReach. Free rend hommage à l’énorme investissement personnel de Judja-Satoa dans le projet, à ses compétences au niveau du contact avec les autres, qu’il encourage à participer, ainsi qu’à son aptitude à mettre en oeuvre cette idée et à la mener à bien.

Fumo ne pense pas que le prix du matériel constituera un obstacle significatif pour la majorité des ménages. Un grand nombre utilise encore les combustibles traditionnels tout simplement par habitude, dit-il, et c’est à la Fondation que revient la tâche de les informer sur l’autre option possible. « Le petit nombre de personnes auxquelles on a présenté cette idée voient un véritable avantage à utiliser le gaz au lieu du bois de chauffage. »

Alfred Durão, ancien responsable du programme de vaccination du gouvernement mozambicain, qui travaille maintenant avec VillageReach, n’a aucun doute sur la différence que le projet a déjà apportée. « On ne manque plus de vaccins dans les districts et les réfrigérateurs marchent. Nous avons obtenu de bons résultats et un plus grand nombre d’enfants a été vacciné. »

Le projet suscite également un intérêt à l’extérieur. « Il n’existe rien de semblable dans le reste du monde », observe John Lloyd, du PATH. « C’est une réalisation extrêmement importante. » L’organisation VillageReach elle-même reste pour l’instant modeste et prudente. Plusieurs gouvernements ont contacté Judja-Sato en vue d’adopter une approche similaire dans leur pays. VillageReach est définitivement en train de planifier une série d’autres projets de démonstration afin de s’assurer que l’idée puisse fonctionner dans tout un éventail de contextes différents. Mais elle ne veut pas précipiter les choses. Dans un premier temps, il faut se concentrer sur une seule province, dans un seul pays et prouver que l’idée est concluante. Pour l’heure, les signes sont clairement prometteurs.

Références et lectures complémentaires
(1) Enquête réalisée en 2002 par la Fondation pour le développement des communautés, le Ministère de la Santé et VillageReach.

VillageReach, Seattle

La Fondation pour le développement des communautés du Mozambique

PATH: www.path.org. VillageReach travaille en collaboration avec PATH pour tester les technologies de vaccination sur le terrain. Le Programme de vaccination infantile du PATH a fourni le capital de départ pour ce projet.

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