Pleins feux sur la vaccination

ARTICLE SPECIAL - Décembre 2002

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Polio : pourra-t-on jamais arrêter la vaccination ?

Un article dans notre dernier numéro examinait les progrès accomplis vis-à-vis de l’élimination de la poliomyélite sauvage au niveau mondial. Alors que l’on touche au but, Pleins feux sur la vaccination découvre dans l’article suivant les choix difficiles auxquels sont confrontés les pays et la communauté internationale

Vivre avec la polio : les enfants d’un centre de rééducation en République démocratique du Congo, 2001
copyright OMS/GPEI

PERSONNE n’a jamais dit qu’il serait facile de se débarrasser du poliovirus, et les derniers foyers (en Inde particulièrement) s’avèrent plus difficiles à éliminer que prévu. Mais alors que les efforts mondiaux d’éradication de la poliomyélite sont sur le point d’aboutir, les décideurs sont confrontés à une nouvelle série de questions délicates. Si très prochainement le monde peut être déclaré exempt du poliovirus sauvage, les pays pourront-ils alors cesser de vacciner les enfants contre ce virus, ou faudra-t-il qu’ils continuent pour toujours ? S’ils continuent, quel type de vaccin devront-ils utiliser ? Est-ce qu’un monde déclaré exempt de la poliomyélite sera plus sûr avec ou sans vaccination antipoliomyélitique ?

Il ne faut pas s’attendre à des réponses immédiates. Ceux qui conseillent l’Initiative mondiale pour l’éradication de la polio, un partenariat impulsé par l’OMS, Rotary International, les CDC américains et l’UNICEF, sont toujours en train d’étudier ces questions. Mais il ne s’agit pas d’un débat théorique mené à loisir car les politiques évoluent rapidement. Les fabricants de vaccins ont besoin de savoir - au plus tôt - quelles seront globalement les exigences mondiales probables au-delà des cinq à dix prochaines années.

Depuis son lancement en 1988, l’Initiative mondiale pour l’éradication de la polio a toujours eu pour objectif d’éliminer cette maladie estropiante, de manière à ce que la vaccination ne soit plus nécessaire.

Mais alors que la réalisation du premier objectif est en vue, l’idée d’arrêter la vaccination est de plus en plus controversée. Les experts en vaccination ne sont pas d’accord, certains préconisant un arrêt coordonné de la vaccination comme étant la politique la plus sûre, et d’autres insistant sur le fait que la vaccination doit se poursuivre indéfiniment.

Science et politique

Alors que l’Initiative mondiale pour l’éradication de la polio continue d’oeuvrer pour la réalisation de l’objectif visant à arrêter la vaccination une fois que le monde aura été certifié exempt de la poliomyélite, ses dirigeants reconnaissent l’incertitude qui règne et s’efforcent d’établir un consensus international quant à la politique à mettre en oeuvre en phase de « post-certification ». « Ce que nous devons faire, c’est rassembler les informations », explique le Dr Bruce Aylward, coordinateur de l’Initiative à l’OMS, à Genève. « Notre objectif devrait être de cesser d’utiliser le vaccin antipoliomyélitique oral dans la mesure du possible. Reste à savoir si nous y parviendrons et par quel moyen, mais toutes les preuves semblent indiquer que nous sommes en mesure de le faire. »

1: Si le monde est certifié exempt de la poliomyélite, quels seront alors les risques ?

L’OMS et l’Initiative mondiale pour l’éradication de la polio identifient les risques en période post-certification suivants :

Risques associés au vaccin antipoliomyélitique oral et aux virus dérivés de celui-ci

  • Cas de paralysie associée à la poliomyélite vaccinale estimés entre environ 250 et 500 par an ;
  • Flambées épidémiques dues à la circulation de poliovirus dérivés du vaccin ;
  • Persistance de poliovirus dérivés du vaccin chez un petit nombre de sujets immunodéprimés, qui peuvent excréter des virus vivants pendant de nombreuses années.

Risques provenant du poliovirus sauvage :

  • Mise en circulation accidentelle dans une usine qui fabrique un vaccin antipoliomyélitique inactivé à partir du virus sauvage ;
  • Mise en circulation accidentelle du virus dans l’environnement à partir d’un laboratoire qui stocke des spécimens ;
  • Mise en circulation intentionnelle.

Selon le Groupe consultatif technique de l’Initiative mondiale pour l’éradication de la polio, les conditions suivantes devront être satisfaites avant de cesser la vaccination contre la poliomyélite :

  • Arrêt de la transmission du poliovirus sauvage ;
  • Confinement effectif de tous les stocks de poliovirus en laboratoire et des sites de production de vaccins antipoliomyélitiques inactivés (VPI) ;
  • Preuve que les poliovirus dérivés du vaccin ne circuleraient pas pendant une période prolongée après l’arrêt du vaccin antipoliomyélitique oral (VPO) ;
  • Constitution d’un stock mondial et mise en place d’une capacité de production de VPO permettant de combattre toute flambée épidémique future.

Que les commentateurs partagent ou non ce point de vue, le débat est en réalité descendu dans une arène plus politique et publique depuis le 11 septembre 2001. Les médias, en particulier aux Etats-Unis, ont fait part de leurs préoccupations quant à la possibilité à l’avenir d’une utilisation du poliovirus par des bioterroristes sur une population non vaccinée. Des personnes extrêmement influentes sont intervenues dans le débat avec des arguments de poids, et en particulier le Dr D.A. Henderson, qui a dirigé la campagne mondiale pour l’éradication de la variole et qui est aujourd’hui conseiller auprès du gouvernement américain en matière de bio-défence civile. Henderson est catégoriquement opposé à un arrêt de l’utilisation du vaccin antipoliomyélitique oral et prétend que ceux qui sont en faveur de l’abandonner résonnent comme des « zélateurs et non pas des scientifiques ».

Quels sont donc les véritables problèmes ? Encourrait-on des risques sérieux en cas de mise en circulation délibérée ou accidentelle de poliovirus sauvage parmi une population qui ne serait plus immunisée ? Quels risques présente en lui-même le vaccin ? L’OMS a élaboré (1) un cadre d’analyse et de gestion des différents types de risque (encadré 1) et supervise des études visant à évaluer leur importance. « Ce que nous essayons de faire, c’est de récapituler les risques après la certification et d’examiner comment ces risques pourraient évoluer au fil du temps », explique le Dr David Wood, virologue de l’OMS chargé de coordonner les études.

Avant d’examiner un par un ces risques, il est bon de se rappeler les raisons pour lesquelles l’initiative pour l’éradication de la maladie a toujours eu comme objectif final l’arrêt de la vaccination. Le pilier du programme d’éradication a été le vaccin antipoliomyélitique oral (VPO), qui est fondé sur un virus vivant atténué et stimule une forte réponse immunitaire protectrice au virus sauvage. Le VPO est généralement un vaccin sûr, mais il peut, dans de très rares cas, causer une paralysie. Les estimations restent incertaines, mais il est possible que cette conséquence désastreuse se produise une fois par million de doses administrées, ceci affectant quelque 250 à 500 personnes par an dans le monde entier. Si la charge de morbidité de la poliomyélite sauvage est réduite à zéro, les risques posés par le vaccin pourraient l’emporter sur ses avantages. « Nous ne voudrions surtout pas paralyser un enfant par inadvertance », s’exclame Aylward.

Le risque de paralysie due à la poliomyélite vaccinale est moins grand, par exemple, que le risque d’effets indésirables graves associé aux vaccins actuels contre la variole. Néanmoins, il est trop élevé pour être acceptable dans un grand nombre de pays industrialisés, où la charge de morbidité de la poliomyélite est aujourd’hui nulle. Dans ces pays, on privilégie de plus en plus l’utilisation du vaccin antipoliomyélitique inactivé (VPI) plus coûteux, bien que l’on ait des doutes quant à l’efficacité de ce vaccin dans les pays tropicaux en développement où les enfants sont le plus fortement exposés au virus. Toutefois, si la charge de morbidité de la poliomyélite tombe à zéro au niveau mondial, les risques posés par le vaccin oral pourraient être perçus comme inacceptables par les gouvernements et le grand public dans un nombre bien plus grand de pays.

L’autre raisonnement en faveur d’un arrêt de l’utilisation du vaccin est d’ordre économique. Durant les années 1990, l’OMS a estimé que le fait d’éradiquer la poliomyélite, puis de cesser la vaccination, permettrait une réduction des coûts pouvant atteindre jusqu’à $1,5 milliards d’ici 2015. Il est évident que ces économies seraient considérablement réduites si l’usage du VPO se poursuivait, et les coûts pourraient même augmenter en cas d’une adoption générale du VPI.

Risques associés aux virus dérivés des vaccins

On connaît depuis quelque temps déjà la plupart des risques associés au vaccin antipoliomyélitique et au virus sauvage. Mais les progrès rapides accomplis par l’initiative pour l’éradication de la maladie, alliés à toute une série d’événements ces trois dernières années, ont obligé les chercheurs et les décideurs à réfléchir plus sérieusement à l’impact d’un arrêt de la vaccination. En 2000, en Hispaniola (République Dominicaine et Haïti), plus de 20 personnes ont été paralysées et deux sont décédées lors d’une flambée causée par un poliovirus dérivé au départ du VPO. Le virus avait repris un comportement plus proche de celui de la forme sauvage (2). D’autres flambées moins importantes causées par ces poliovirus dérivés du vaccin ont suivi, aux Philippines en 2001 et à Madagascar cette année. On attribue aujourd’hui aux poliovirus dérivés du vaccin une flambée antérieure en Egypte. Les experts estiment que d’autres flambées seront découvertes au cours des activités de surveillance en l’absence de poliovirus sauvage et étant donné le possible déclin de la couverture vaccinale.

Toutes les flambées déclarées se sont produites au sein de collectivités où les niveaux de vaccination avaient dangereusement baissé et où les conditions permettaient aux virus dérivés du vaccin de retrouver, dans un premier temps, leur capacité initiale à paralyser, puis, dans un deuxième temps, leur capacité à se propager. Les souches qui avaient causé les flambées épidémiques avaient même recombiné leur matériel génétique avec celui d’autres espèces de virus attaquant l’intestin.

Les scientifiques savent depuis longtemps que les virus atténués présents dans le VPO peuvent se reproduire dans l’intestin et contaminer les membres de la famille en contact avec la personne vaccinée. Mais jusqu’en 2000, peu d’entre eux s’attendaient à ce que ces souches persistent suffisamment longtemps pour retrouver leur capacité à la fois à paralyser et à se répandre largement au sein d’une collectivité.

Le professeur Paul Fine, de la London School of Hygiene and Tropical Medicine, avait soutenu (3), avant la flambée épidémique en Hispaniola en 2000, que les poliovirus dérivés du vaccin pourraient persister dans des milieux où une mauvaise hygiène favorise leur propagation, et que ceci pourrait affecter l’élaboration de politiques visant à arrêter la vaccination. C’est avec regret qu’il a vu ses craintes se confirmer en Hispaniola. « Dans l’idéal, tout le monde aimerait bien cesser toute vaccination contre la poliomyélite », confie Fine, « mais certains d’entre nous estime que nous ne sommes pas en mesure de le faire. » Pour Fine et d’autres, l’expérience des poliovirus dérivés du vaccin souligne la nécessité de maintenir un niveau de couverture vaccinale suffisamment élevé pour empêcher leur propagation.

Autre argument, avancé dans un compte rendu du Dr Walter Orenstein des CDC et par d’autres membres du Groupe consultatif technique de l’Initiative mondiale pour l’éradication de la polio : les flambées épidémiques récemment déclenchées par les poliovirus dérivés du vaccin sont une raison convaincante de plus de cesser au plus vite la vaccination au VPO. Tant que le VPO sera utilisé, soutiennentils, il y aura un risque que des virus dérivés du vaccin émergent et donnent lieu à des nouvelles flambées de poliomyélite dans les régions où la couverture vaccinale est faible (4). Si des campagnes de vaccination de masse coordonnées sont menées avant le retrait du vaccin, le niveau d’immunité de la population sera élevé et le risque de propagation des poliovirus dérivés sera faible.

Le fait est que personne ne pourra trancher sur cette question tant que d’autres recherches n’auront pas été effectuées. Wood, de l’OMS, explique que des études sont en cours pour contrôler si les poliovirus dérivés du vaccin émergent suite à des campagnes de vaccination étendues à l’ensemble de la population. A Cuba, dit-il, la vaccination contre la poliomyélite se fait en deux « impulsions » par an, et non pas sous forme d’un service systématique, et par conséquent, une proportion très élevée de la population est vaccinée en même temps. Jusqu’ici, on n’a détecté aucune propagation de poliovirus dérivés du vaccin à Cuba - peut-être, dit Wood, parce que la vaccination simultanée d’un aussi grand nombre de personnes laisse très peu de temps aux virus dérivés du vaccin pour s’échapper et très peu de personnes à infecter. Mais dans quelle mesure les résultats obtenus à Cuba peuventils être extrapolés à d’autres contextes ? Wood ajoute que d’autres études sont à présent en cours, en Inde par exemple, pour voir si les poliovirus dérivés du vaccin émergent à la suite de campagnes menées dans des collectivités où la couverture vaccinale systématique est faible. Toutefois, certains observateurs s’inquiètent du fait que ces études vont être difficiles à réaliser et difficiles à interpréter.

Porteurs à long terme de poliovirus dérivés du vaccin

Pour la plupart des scientifiques, les flambées épidémiques causées par les poliovirus dérivés du vaccin sont une source sérieuse de préoccupation. Mais il y a d’autres risques à prendre en considération, comme par exemple les sujets souffrant de certaines formes rares d’immunodéficience congénitale qui peuvent continuer d’excréter des virus dérivés du vaccin pendant des années après la vaccination. Jusqu’ici, au cours des 40 années d’utilisation du vaccin, seuls 19 cas de ce genre ont été identifiés au niveau mondial, la majorité dans les pays industrialisés, et quatre personnes seulement continuent aujourd’hui d’excréter des virus. Aucune personne excrétant un poliovirus sauvage n’a été identifiée.

Selon le Groupe consultatif technique (4), le nombre de cas de maladies immunodéficitaires congénitales n’est que d’un sur 10 000 naissances et sur ce nombre, 1 % maximum des sujets risquent de devenir porteurs à long terme de poliovirus dérivés du vaccin. Malgré les tentatives de recherche, aucun cas n’a encore été relevé dans les pays en développement où les conditions sont les plus favorables à la propagation de la poliomyélite. Vraisemblablement, ces individus ne survivent pas longtemps après la naissance dans un milieu où ils sont constamment exposés à des infections. Ce qui est important, c’est que les personnes qui souffrent d’une immonudéficience acquise, telle que le SIDA, ne semblent pas être affectées. Mais, comme le signale Wood, même si les porteurs à long terme souffrant d’immunodéficiences primaires et excrétant des poliovirus sont rares, le risque qu’ils causent de nouvelles flambées « ne sont pas nuls ». Henderson soutient qu’il existe « sans aucun doute dans le monde un nombre de porteurs à long terme excrétant des poliovirus bien plus élevé », et dit que vouloir les retrouver équivaut à chercher une aiguille dans une botte de foin. Aylward insiste sur le fait qu’on a bien tenté de les retrouver, mais qu’ils n’ont pas pu être localisés. Des études de surveillance se poursuivent.

2: A-t-il vraiment dit cela ?

Le 27 octobre 2002, le dirigeant influent de l’ancienne campagne mondiale pour l’éradication de la variole faisait l’objet d’un reportage qui donne à réfléchir. « L’éradication mondiale de la poliomyélite est irréalisable et tous les efforts dans ce sens devraient être abandonnés, a déclaré samedi un haut responsable fédéral de la santé », pouvait-on lire dans le New York Times.

Le Dr D.A. Henderson, le responsable en question, est connu pour ses fortes inquiétudes à l’égard de l’arrêt de la vaccination après l’élimination de la poliomyélite sauvage. Néanmoins, ce qui en a surpris plus d’un dans ce reportage, c’est qu’Henderson semble maintenant préconiser l’abandon de la lutte pour l’élimination du virus, alors que le nombre de pays où le virus se propage encore est plus bas que jamais. Même d’autres chercheurs, qui ont exprimé leurs doutes quant à l’arrêt de la vaccination en phase postcertification, comme le Professeur Paul Fine de la London School of Hygiene and Tropical Medicine, ont été consternés. « Nous y sommes presque », constate-t-il.

Henderson a expliqué son point de vue à Pleins feux sur la vaccination. « J’estime que l’initiative pour l’éradication de la poliomyélite mérite notre soutien total », a-t-il dit. « Nous devons faire tout notre possible pour assurer son succès. » Ce qu’il avait voulu faire ressortir, c’est que l’Assemblée mondiale de la santé s’est engagée jusqu’ici à éradiquer deux maladies seulement, le filaire de Médine et la poliomyélite, et qu’étant donnés les problèmes posés par chacune de ces initiatives et leur coût, il s’oppose à l’éradication potentielle de toute autre maladie dans un avenir prévisible. Il tient aussi à faire la distinction entre l’éradication de la poliomyélite et l’arrêt de la vaccination antipoliomyélitique. « Il est important de ne pas oublier que l’Assemblée a pris l’engagement de supprimer la poliomyélite, et non pas le vaccin antipoliomyélitique », fait remarquer Henderson. « Il s’agit là de deux objectifs tout à fait différents à ne pas confondre. » Nous avons tiré d’importantes leçons des conséquences de l’éradication de la variole, affirme-t-il. Alors que les efforts d’éradication de la poliomyélite se poursuivent, ajoute-t-il, « Nous devons commencer à envisager de manière plus critique et plus réaliste l’avenir à plus long terme, afin de veiller à assurer une protection contre la poliomyélite, quel que soit l’aboutissement des efforts d’éradication. » Entre-temps, l’activité énergique en cours en Inde, au Nigeria et au Pakistan doit se poursuivre, conclut Henderson. « Il nous faut faire de notre mieux. »

Risques posés par le poliovirus sauvage

Le virus sauvage constitue également une menace en période post-certification. Tout d’abord, est-il possible qu’un virus s’échappe accidentellement d’un laboratoire ? Tout à fait. Le dernière personne décédée de la variole a été infectée suite à la mise en circulation accidentelle du virus dans un laboratoire à Birmingham, en Angleterre, en 1978, un an après le dernier cas autochtone connu. Si l’on arrêtait la vaccination contre la poliomyélite, une proportion croissante de la population serait exposée à un risque d’infection. Aylward estime que le confinement des stocks de poliovirus sauvage en laboratoire est un « point essentiel », mais les problèmes liés au poliovirus sont très différents de ceux qui concernent la variole, du fait de la nature du virus lui-même et des stratégies de protection des populations.

En 1999, l’Assemblée mondiale de la santé a approuvé à l’unanimité une politique pour le confinement de tous les stocks de poliovirus. Les pays ont accepté d’établir une liste et d’inspecter tous les laboratoires biomédicaux. Dans le cadre de la politique approuvée, les instituts biomédicaux seront tenus de procéder à un inventaire exhaustif de tous les matériaux infectieux ou potentiellement infectieux et de détruire tous les stocks non essentiels et de conserver tous les stocks essentiels présentant un intérêt scientifique dans des laboratoires agréés protégés. Certains experts mettent en doute la possibilité de remplir ces conditions dans tous les laboratoires du monde. « Des prélèvements de fèces, recueillis pour de nombreuses raisons différentes et conservés dans des congélateurs dans le monde entier, pourraient, par inadvertance, être contaminés par un poliovirus sauvage ou dérivé du vaccin », ont écrit Fine et Neal Nathanson dans un article pour la revue Science (5). Mais Aylward estime que, moyennant une surveillance minutieuse des mécanismes et une homologation indépendante sérieuse, un confinement efficace est possible. Wood ajoute que de nombreux laboratoires aux ressources limitées choisissent aujourd’hui de détruire les stocks plutôt que de tenter de les conserver.

Autre risque potentiel : la mise en circulation accidentelle, à partir d’une usine de fabrication de vaccins, de souches de virus sauvage utilisées pour produire le vaccin antipoliomyélitique inactivé. Avant leur inactivation, les virus qui sont utilisés dans la fabrication du VPI actuel sont virulents et pourraient être nocifs. On a relevé un seul cas de mise en circulation accidentelle ; heureusement, la personne infectée n’a développé aucun symptôme. L’OMS travaille en collaboration avec les fabricants pour mettre en place des directives visant à assurer des conditions plus sûres.

Attaque bioterroriste

Enfin, il existe un risque associé au bioterrorisme. La plupart des chercheurs pensent que le poliovirus serait une arme biologique peu puissante par rapport, par exemple, à la variole ou à l’anthrax. « Si votre but est de semer la confusion aux Etats-Unis, la polio ne fera pas l’affaire », explique Fine. « Soyons un peu raisonnable. » Le virus se propage principalement par les fèces, et dans un pays où l’hygiène est bonne, sa propagation resterait limitée. Qui plus est, moins d’1 % des contaminations sont censées résulter en une paralysie, même parmi une population prédisposée (4). Toutefois, certains virologues et spécialistes de la santé publique soutiennent que malgré l’inefficacité du poliovirus en tant qu’arme biologique, ce dernier pourrait malgré tout constituer un moyen réel de terroriser une population.

Henderson fait remarquer que le facteur « terreur » pourrait être particulièrement puissant dans un pays industrialisé où l’hygiène est bonne en raison du risque sensiblement plus élevé de paralysie. Dans des milieux « propres », la probabilité de contamination dans un délai donné est plus faible que dans des milieux insalubres, et par conséquent, l’âge moyen auquel les gens deviennent infectés augmente, les enfants plus âgés et les adultes risquant davantage de se retrouver paralysés que les nourrissons. « Ceux d’entre nous qui ont connu les années 1950 se souviennent de cette maladie estropiante. Ce fut une période plutôt atroce », remarque Henderson. Aylward est d’accord, mais il souligne que si l’on arrêtait la vaccination contre la poliomyélite, il faudrait attendre 15 ou 20 ans avant que les cohortes non immunisées arrivent à l’âge adulte. De plus, si les pays industrialisés continuent d’utiliser le VPI, comme la plupart d’entre eux ont l’intention de le faire, le vaccin exercerait un effet de dissuasion par rapport à tout bioterrorisme potentiel et le risque de conséquences néfastes serait considérablement réduit. Aylward estime qu’il est plus important de concentrer les efforts sur des risques mesurables et plus prévisibles, comme la paralysie due à la poliomyélite vaccinale.

Choix actuels de vaccins

Etant donné les nombreux types différents de risques, il n’est pas surprenant que certains experts préconisent une autre solution : au lieu de choisir entre le maintien ou l’arrêt de l’utilisation du VPO, pourquoi ne pas le remplacer par le VPI ? Ce vaccin renferme un poliovirus entier mort et non pas un virus vivant, et par conséquent, il entraîne moins d’effets indésirables. Néanmoins, cette solution est loin d’être parfaite. Ce vaccin doit être injecté et non pas administré par voie buccale, ce qui rend l’opération plus compliquée et plus coûteuse, et exige un plus grand nombre de personnels qualifiés. S’il est administré aux nourrissons dans le cadre d’une vaccination systématique, en association avec d’autres antigènes de vaccins durant les premiers mois de leur vie, il peut ne pas provoquer de forte réponse immunitaire à tous les poliovirus sauvages. Il s’est révélé efficace dans les pays industrialisés dans le cadre d’une vaccination systématique, mais on ne pense pas qu’il stimule une forte immunité instestinale. Ceci soulève la question de savoir s’il protégerait suffisamment les enfants dans des milieux où le risque de contamination par le poliovirus est très élevé, comme par exemple dans les quartiers pauvres surpeuplés de certaines mégapoles. Le VPI est, de plus, inadéquat en cas de flambées épidémiques ; dans de tels cas, on doit faire appel au VPO.

Wood, de l’OMS, explique que des études ayant pour but de contrôler l’efficacité du VPI dans les pays qui changent de vaccin sont en cours. Jusqu’ici, il s’agit principalement de pays industrialisés comme la Nouvelle-Zélande, mais des études sont également prévues dans les pays en développement.

Henderson craint que le VPI n’assure pas une protection suffisante dans les conditions plus rudes rencontrées dans les pays en développement et que son prix plus élevé et son administration plus complexe finissent par conduire à une baisse de la couverture vaccinale. Pour ces raisons, il recommande fortement que le VPO continue d’être utilisé et soutient que le nombre de victimes de paralysies causées directement par le vaccin est un prix qui vaut la peine d’être payé pour tenir la poliomyélite en échec.

Aylward souligne que les pays décideront eux-mêmes de ce qui leur convient. « Ce n’est pas une décision que l’OMS peut prendre », observe-t-il. Bien évidemment, tout retrait du VPO devra être coordonné au niveau international, mais il est possible que la tendance à adopter le VPI s’installe plus progressivement. A l’heure actuelle, les réserves de PVI sont bien inférieures à la quantité qui serait nécessaire si un grand nombre, voire la totalité des pays en développement l’adoptait au lieu du VPO. Le prix du vaccin est aussi actuellement plusieurs fois celui du VPO, bien que les sources au sein de l’industrie se refusent à donner un chiffre. Les producteurs devront considérablement augmenter leur capacité pour répondre aux besoins fortement accrus. L’Initiative mondiale pour l’éradication de la polio a maintenant demandé à l’UNICEF, l’un de ses membres partenaires et l’acheteur de vaccins pour le Programme élargi de vaccination, de discuter avec les fabricants de VPI (dont Aventis Pasteur et GlaxoSmithKlineBio) des prix et des délais d’élargissement de la production au cas où de nombreux pays décideraient de changer de vaccin.

Les fabricants confirment qu’ils ont besoin de savoir ce que la communauté internationale attend d’eux. Aventis Pasteur et GSKBio fabriquent tous deux des produits conjugués VPIDTC. Aventis Pasteur a annoncé récemment un investissement d’environ $70 millions en vue d’accroître sa capacité de production de vaccins à virus, tels que le VPI. GSKBio a également proposé des investissements en vue de l’accroissement de la production de VPI, déclare le Dr Walter Vandersmissen. « Mais [GSKBio] insiste sur des recommandations et un engagement fermes de la part du secteur public quant à l’utilisation future des vaccins antipoliomyélitiques … les investissements nécessaires pour l’accroissement de la production sont considérables et ne peuvent pas être mis en oeuvre sans la prise d’un engagement total à long terme portant sur l’utilisation et l’achat du vaccin. »

Stock

Même si la demande de VPI augmente, il sera probablement toujours nécessaire de disposer d’un stock de VPO en cas de future flambée épidémique de poliomyélite. Il faut plusieurs semaines avant que les personnes vaccinées au VPI développent une immunité, alors que le VPO provoque une réponse immunitaire beaucoup plus rapide, en particulier dans l’intestin, ce qui le rend plus efficace en cas de flambée épidémique. Toute politique à long terme en phase de post-certification exigera un stock de VPO de manière à pouvoir réagir d’urgence à toute flambée de la maladie.

Ceci paraît assez simple, mais même la constitution d’un stock de vaccins présente des défis d’ordre technique, politique et économique. Les scientifiques ne parviennent pas à se mettre d’accord sur la durée de conservation des stocks de vaccins vivants, sur la faisabilité de les conserver de manière adéquate, sur la question de savoir si les fabricants seraient prêts à fabriquer un aprovisionnement de roulement pour remplacer les stocks vieillissants, et sur la volonté de la communauté internationale de payer la note indéfiniment. Aylward affirme que ces défis peuvent tous être relevés. Henderson est moins optimiste. Fine soutient que la plupart des problèmes peuvent être résolus si le monde a la volonté politique d’investir dans des services de vaccination convenables pour tous les enfants de la planète.

De meilleurs vaccines

En définitive, certains chercheurs estiment que les problèmes seraient résolus s’il existait de meilleurs vaccins antipoliomyélitiques. Un vaccin oral sans les risques de paralysie due à une poliomyélite vaccinale ou de mutation en souches pathogènes serait idéal, mais bien que certains scientifiques pensent qu’un tel vaccin est réalisable, ils admettent qu’il faudra bien encore au moins une dizaine d’années avant d’arriver à en développer un ; en effet, prouver la supériorité de son innocuité par rapport au VPO exigera des essais faisant intervenir, potentiellement, plus d’un million de personnes. Une autre possibilité serait un vaccin antipoliomyélitique inactivé, fabriqué cette fois avec des souches de Sabin atténuées (celles utilisées dans le VPO) au lieu de souches de type sauvage. Toutefois, ces vaccins devront passer par tous les stades habituels de réglementation et leur mise sur le marché demandera des années. Nul ne peut se permettre de différer les décisions qui s’imposent aussi longtemps.

En attendant, le nord de l’Inde est en pleine flambée épidémique de poliomyélite sauvage. Pour Aylward, l’interruption de la transmission reste dans cette région la priorité absolue. Et pour l’heure, le défi le plus difficile à relever.

Phyllida Brown

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