Pleins feux sur la vaccination

MISE A JOUR - Novembre 2002

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Cet article constitue la première partie d’un reportage en deux parties sur la polio. Celle-ci évalue les progrès de l’initiative d’éradication de la polio dans les pays clés. Un deuxième article dans notre prochain numéro examinera la « phase finale » de la lutte contre cette maladie et les politiques à adopter une fois que le monde aura été déclaré exempt du poliovirus sauvage. Pourra-t-on arrêter la vaccination contre la poliomyélite ou faudra-t-il continuer indéfiniment ?

La poliomyélite : c’est maintenant ou jamais

Le poliovirus est en régression mais n’a pas encore totalement disparu. A l’heure où s’engagent les dernières et les plus rudes batailles contre cette maladie estropiante, les enjeux sont considérables

LES prochaines semaines seront critiques pour la guerre mondiale contre la poliomyélite. Après 20 ans de lutte contre le virus, l’avenir sera largement déterminé par les résultats des campagnes de vaccination systématique à domicile qui auront lieu d’ici à février en Inde, au Nigeria et au Pakistan. Il s’agit des trois derniers pays au monde où le poliovirus sauvage se propage encore de manière significative. Si les campagnes réussissent, la transmission du virus pourrait prendre fin au niveau mondial dans quelques mois seulement. Si elles échouent, la poliomyélite pourrait regagner du terrain et la guerre contre le virus, si proche d’être gagnée, pourrait essuyer un revers préjudiciable.

Les équipes de vaccination et leurs surveillants sont conscients de tout ce qui repose sur leurs performances. « Il est crucial que nous réussissions maintenant et que nous réussissions dans tous ces endroits », affirme le Dr Bruce Aylward, coordinateur à l’OMS à Genève de l’Initiative mondiale pour l’éradication de la polio (1), un partenariat impulsé par l’OMS, Rotary International, les CDC aux Etats- Unis et l’UNICEF. « Nous ne pouvons pas laisser cette occasion phénoménale nous filer entre les doigts. »

Le poliovirus n’a jamais été si peu étendu. Le nombre d’enfants paralysés chaque année par le virus au niveau mondial a nettement diminué (de 350 000 en 1988 à quelques centaines aujourd’hui). En cette fin d’année 2002, le nombre de pays où la poliomyélite est endémique est plus bas que jamais, c’est-à-dire six, contre dix l’année dernière. Et dans ces pays, les régions touchées sont moins étendues, ce qui indique que le filet se resserre toujours plus autour du virus. Trois des six régions de l’OMS, le continent américain, le Pacifique occidental et, plus récemment l’Europe, ont déjà été certifiées exemptes du virus. Même des pays confrontés à d’énormes défis d’ordre logistique ou politique, comme le Bangladesh ou la République démocratique du Congo, n’ont pas eu de cas de poliomyélite depuis 18 mois. Si vous épluchez les dénombrements de cas qui sont mis à jour régulièrement sur Internet (1), vous verrez. un pays après l’autre, des colonnes de zéros. « Tout ceci montre que les stratégies en place sont valables », s’exclame Aylward.

Mais achever la tâche s’avère difficile. Suite à une flambée épidémique de poliomyélite dans l’état indien d’Uttar Pradesh (voir carte), le nombre de cas pour l’Inde seule a atteint cette année le double du total mondial de l’année dernière. Parallèlement, une meilleure surveillance alliée à une transmission plus intense dans les états de Kano et de Kaduna, au nord du Nigeria, a résulté aussi en un accroissement du nombre de cas identifiés en 2002 dans ces mêmes états.

Les partenaires de l’Initiative mondiale pour l’éradication de la polio s’étaient donnés pour objectif d’arrêter la transmission du virus d’ici la fin de cette année mais, de toute évidence, le virus continuera de se propager dans une moindre mesure dans les trois régions principales début 2003. L’initiative mondiale s’est fixée comme objectif de déclarer le monde exempt de poliomyélite en 2005. Pour ce faire, la Commission de certification mondiale mise en place par l’OMS exige qu’il n’y ait pas de cas de poliomyélite due au virus sauvage dans les six régions du monde pendant au moins trois ans.

Atteindre chaque enfant

Aylward dit qu’il est encore possible que les six régions soient certifiées d’ici 2005, ou du moins que le processus de certification ait commencé. Mais deux tâches essentielles restent à accomplir pour que ceci soit possible.

La première consiste à assurer aujourd’hui des campagnes de vaccination de première ordre dans les régions de l’Inde, du Nigeria et du Pakistan, où la maladie reste endémique, de manière à ce que la transmission dans ces pays soit stoppée en quelques mois. « Ceci dépend de la capacité du système de santé de chaque pays à travailler avec la collectivité, afin de pouvoir se rendre dans les villages pour atteindre chaque enfant, et de pouvoir prouver que cela a été fait. » La deuxième : continuer à atteindre les enfants dans un autre petit groupe de pays et de zones géographiques où la poliomyélite subsiste, mais où les cas sont généralement beaucoup moins nombreux. Ces pays ou régions (principalement la région de Kandahar en Afghanistan, l’est de l’Angola et la région de Mogadisho en Somalie) sont victimes de guerres, de dissensions intestines ou autres situations d’urgence complexes. Le personnel de vaccination est gêné dans son travail par des obstacles tels que la présence de mines terrestres ou de milices locales, ou parce que le système de santé, tout rudimentaire qu’il était, s’est effondré. De plus, le travail de surveillance, qui est essentiel, peut aussi être contrarié, ce qui augmente le risque de cas de poliomyélite non détectés et de propagation du virus.

Redoubler les efforts

Au centre d’opérations de l’Initiative mondiale pour l’éradication de la polio à l’OMS à Genève, le personnel suit de près la situation mondiale en rapide évolution, pratiquement comme des généraux surveillant un champ de bataille. Les tendances de la propagation du virus en Inde et au Nigeria sont discutées en détail et les mesures à prendre convenues. Pour les autres pays, comme l’Afghanistan (voir encadré 2), où la transmission de la poliomyélite est moins fréquente, chaque cas individuel est suivi et discuté, et les données de laboratoire sur les origines génétiques du virus sont analysées. Tous les efforts possibles doivent être faits pour maîtriser la propagation de l’infection, en dépit des routes impraticables et des circonstances dangereuses. Pour venir à bout du virus, un seul moyen : atteindre chaque enfant.

Il est clair que la stratégie qui consiste à atteindre chaque enfant ne peut être menée à bien sans y mettre le prix ou s’investir à plein temps. Depuis 1994, le budget alloué à l’Initiative mondiale pour l’éradication de la polio pour chaque période de deux ans a plus que décuplé, passant de $30 millions à $350 millions, et le nombre de personnes employées dans le monde entier est passé d’environ 50 à plus de 2 500. Depuis 2000, des campagnes systématiques à domicile sont conduites à grande échelle dans les régions où le virus reste endémique et, globalement, quelque 10 millions de bénévoles y ont participé dans les pays en développement. L’Initiative redouble également ses efforts en matière de surveillance et estime, qu’en plus des $450 millions déjà engagés, il lui faudra $275 millions supplémentaires avant 2005.

Cet investissement énorme en personnel et en matériel, depuis les réfrigérateurs jusqu’aux véhicules, et la concentration enthousiaste des efforts sur une seule maladie ont donné matière à controverse dans certains milieux. Certains commentateurs ont bien accueilli l’approche adoptée pour la poliomyélite, la considérant comme un modèle à suivre pour la lutte contre d’autres maladies. D’autres l’ont critiquée, estimant qu’on lui avait consacré trop de temps et de ressources au détriment de l’ensemble du système de santé des pays et de leurs services de vaccination systématique. Ce débat permanent se poursuit ailleurs (voir SPECIAL FEATURE). Mais la plupart des critiques de l’initiative contre la poliomyélite sont d’accord pour dire qu’une tâche qui touche de si près à sa fin doit être maintenant terminée correctement, et aussi rapidement que possible.

Dans ce contexte, les activités en Inde, au Nigeria et au Pakistan visant à s’attaquer aux dernières régions où la maladie reste endémique sont cruciales. C’est dans ces pays que la majeure partie du personnel et des ressources est actuellement déployée, et ce sont eux qui détiennent la clé de la réussite. Comment ont-ils progressé, et pourquoi les campagnes de cet hiver revêtent-elles une aussi grande importance ? Pleins feux sur la vaccination s’est entretenu avec certains de ceux qui sont au premier rang des activités dans chacun de ces pays.

Au nord du Nigeria : une meilleure surveillance, une formation accrue et une meilleure supervision

1: Faits élémentaires sur la poliomyélite

- Le poliovirus est extrêmement infectieux et affecte principalement les enfants de cinq ans ou moins

- Il se propage à travers les eaux d’égout et l’eau non traitée

- Le poliovirus cause une paralysie irréversible, parfois en l’espace de quelques heures seulement, chez environ 1 sur 200 personnes infectées, et parmi elles, jusqu’à 10 % meurent lorsque leurs muscles respiratoires cessent de fonctionner

- La poliomyélite ne se soigne pas, mais elle peut être évitée avec plusieurs doses de vaccine

Pour protéger les enfants contre la poliomyélite et empêcher la transmission du virus, l’Initiative mondiale pour l’éradication de la polio (1) a mis au point quatre « stratégies fondamentales » :

- Administration de quatre doses de vaccin antipoliomyélitique oral à un pourcentage aussi élevé que possible de nourrissons au cours de la première année de leur vie ;

- Administration de doses supplémentaires de vaccin antipoliomyélitique oral à tous les enfants de moins de cinq ans lors des Journées nationales de vaccination ;

- Surveillance du virus sauvage au moyen d’une déclaration et d’une analyse en laboratoire de tous les cas de paralysie flasque aiguë chez des enfants de moins de quinze ans et d’analyses en laboratoire pour chacun de ces cas ;

- Campagnes de « ratissage » ciblées une fois la transmission du poliovirus limitée à un foyer spécifique

Au nord du Nigeria, la campagne commence le 9 novembre et le Dr Abdoulie Jack, chef d’équipe du Programme élargi de vaccination au Bureau de l’OMS à Abuja, est prudemment optimiste. Sur la base des campagnes précédentes, en avril, mai et octobre de cette année, il estime que le planning et la supervision se sont maintenant bien améliorés, avec une plus grande coordination entre les partenaires. « Nous assistons à une restriction progressive mais certaine de l’étendue de transmission du virus », dit-il. « Au moins la moitié du pays est exempte du virus depuis au moins un an. » Les régions où les gens sont encore touchés par la maladie et propagent le virus à d’autres se limitent maintenant à une partie en régression au nord du pays, autour des états de Kano et de Kaduna.

Mais au sein de cette région septentrionale, une petite épidémie s’est déclarée, avec jusqu’ici 142 cas cette année contre 56 l’année dernière. Il y a eu également trois cas au Niger, pays voisin. « Notre réseau de surveillance est beaucoup plus efficace qu’avant et nous suivons donc la maladie de plus près, ce qui explique en partie ce que nous voyons aujourd’hui », renchérit Jack. Le Dr Jules Pieters, de l’Initiative mondiale pour l’éradication de la polio à Genève, qui travaille en étroite collaboration avec l’équipe PEV au Nigeria, acquiesce. « On découvre plus de cas parce que la surveillance s’est considérablement améliorée. » En outre, ajoute Pieters, l’analyse génétique des échantillons de poliovirus prélevés au nord montre une variation réduite entre les isolats. « Ceci prouve que nous talonnons à présent le virus. »

Autre point tout aussi important : les dirigeants politiques du Nigeria ont maintenant pris un engagement très ferme envers l’éradication de la poliomyélite. « Le soutien politique est énorme et a changé de manière spectaculaire ces deux dernières années », confie Pieters. Il estime que ce changement est critique car c’est le Nigeria, et non pas ses partenaires internationaux, qui prend l’initiative. « Les agences internationales peuvent apporter leur soutien, mais c’est au pays de mener la tâche à bien, et le Nigeria est en train de le faire. » Une grande partie du mérite doit être attribué au Dr Awosika, responsable du programme national de vaccination, conclut Pieters.

Une autre amélioration, enchaîne Jack, c’est que malgré la persistance d’une certaine opposition à la vaccination, celle-ci est moins répandue. Ces dernières années, on rapportait que des collectivités entières au nord du Nigeria refusaient de se faire vacciner. « Certaines personnes voyaient dans le vaccin un contraceptif ou bien un moyen de véhiculer le VIH. » Mais cette année, observe Jack, seuls quelques ménages individuels opposent une résistance aux équipes de vaccination. Un plaidoyer plus efficace explique en partie ce succès. De plus, dit Jack, les chefs traditionnels ont joué un rôle beaucoup plus actif qu’avant. « Dans le passé, nous n’avons pas exploité pleinement leur potentiel. Mais il est impossible d’atteindre les collectivités sans passer par les structures traditionnelles. C’est une chose que nous avons maintenant établie et intégrée dans nos plans d’action, si bien que les chefs traditionnels font désormais partie intégrante du processus. » Dans les zones rurales, explique-t-il, les chefs traditionnels nous ont aidés à assurer l’accessibilité aux collectivités lors des Journées nationales de vaccination, intervenant le cas échéant pour convaincre les ménages reticents d’accepter le vaccin. Ils se sont révélés des guides précieux pour les équipes de vaccination. Un plus grand nombre de femmes dans les équipes de vaccination a également été recruté et davantage de ménages ont par conséquent, dès le départ, ouvert plus volontiers leur porte. « Ce n’est pas une découverte révolutionnaire », tranche Pieters. « C’est une question de bon sens. »

Uttar Pradesh, Inde : reprise après une lassitude au niveau des campagnes

Dans un pays où des millions de bébés naissent chaque année et où un grand nombre d’entre eux n’a pas accès à un système de santé, le poliovirus ne manque pas d’endroits où se cacher pour échapper aux équipes de vaccination. Pourtant, une grande partie de l’Inde est maintenant exempte de poliomyélite et le nombre de cas sur l’ensemble du pays a nettement diminué depuis le milieu des années 1990. Malgré ces progrès, l’état septentrional d’Uttar Pradesh, qui se situe entre Delhi et la frontière avec le Népal, est confronté à un sérieux problème. Les derniers chiffres confirment qu’il y a eu 815 cas de paralysie due à la poliomyélite en Inde cette année, dont la vaste majorité dans cet état et, dans une moindre mesure, dans l’état voisin de Bihâr. L’année dernière, on comptait moins de 270 cas en Inde et moins de 500 à l’échelle mondiale.

Le Dr Jay Wenger, Responsable de programme pour le Projet national de surveillance de la poliomyélite à Delhi, explique pourquoi. A l’ouest d’Uttar Pradesh, jusqu’à 15 % des enfants de moins de cinq ans n’ont pas été atteints par les campagnes de vaccination supplémentaires. Dans un même temps, plus au centre et à l’est de l’état, aucune campagne supplémentaire n’a été réalisée. Par conséquent, le nombre d’enfants non vaccinés n’ayant pas été atteints par les services de vaccination systématique est devenu relativement important. Lorsque la poliomyélite a commencé à se propager à partir de l’ouest de l’état cette année, ces enfants ont été rapidement infectés.

En collaboration avec leurs collègues du gouvernement indien, Aylward et son équipe à Genève ont analysé en détail les raisons pour lesquelles tous les enfants n’avaient pas été atteints lors de campagnes récentes menées à l’ouest de cet état. Là encore, on a bien rapporté une certaine opposition à la vaccination, mais il ne s’agit pas là du problème central. L’échec se situe plutôt au niveau de la fourniture du service. « Les personnels de vaccination n’ont pas atteint suffisamment d’enfants, et leurs supérieurs n’ont pas toujours rectifié le problème », commente Aylward.

2: L’Afghanistan reconstruit son système de santé

Malgré une infrastructure anéantie, les activités des chefs militaires locaux et la présence continue d’unités de l’armée américaine à la poursuite d’Al-Qaeda, l’Afghanistan a réussi à maintenir un service de vaccination, bien que la couverture systématique soit faible dans certains districts. Anne Golaz, conseillère nationale en vaccination auprès du Bureau de l’UNICEF à Katmandou, en Asie du Sud, revient tout juste de l’ouest du pays. « Les gens participent très volontiers à la vaccination et elle est très bien accueillie », observe Golaz. Le nombre de surveillants et contrôleurs locaux des équipes de vaccination a augmenté et le système de santé s’améliore progressivement. « Ces gens-là ont accompli quelque chose de formidable. »

En tout temps, les conditions sont rudes pour les équipes de vaccination en Afghanistan, avec de vastes étendues de terrain montagneux sans routes et des villages isolés. Deux décennies de guerres ont causé leurs propres ravages et l’anarchie demeure un problème à certains endroits. Les voitures de fonction du personnel du PEV ont été criblées de balles et tenues en respect par des armes de poing. « Ils ont peur, cela ne fait aucun doute, mais ils ne s’arrêtent pas pour autant », dit Golaz.

Depuis mars, environ deux millions de réfugiés sont rentrés du Pakistan en Afghanistan, et 300 000 autres sont revenus d’Iran. Généralement, ceux qui étaient dans des camps de réfugiés ont été vaccinés, mais beaucoup d’autres ont vécu dans de grandes villes, souvent dans des conditions de fort surpeuplement et d’insalubrité, et les équipes de vaccination n’ont pas pu atteindre certains des nourrissons.

Tous les cas connus de poliomyélite dans le pays ont été analysés en détail et les lignages génétiques des virus responsables ont été établis. Parmi les cas recensés, un enfant de 15 mois, dont la mère était trop timide pour ouvrir la porte au personnel de vaccination, et un nourrisson de 12 mois vivant dans le dernier village, le plus isolé, d’une région désertique. « Le coordinateur de la vaccination a indiqué qu’il croyait que l’autre équipe se chargeait de ce village ; l’autre équipe pensait qu’il s’en chargeait », raconte Golaz. On compte aussi un cas dans une famille nomade qui n’a jamais été vaccinée. Certains nourrissons n’étaient pas là lorsque le personnel de vaccination est passé, parce que leurs mères les avaient emmenés voir d’autres familles. Une campagne de vaccination est prévue dans les vallées en décembre de manière à atteindre un grand nombre des communautés de montagne qui passent les mois d’été sur les plateaux où paissent les animaux.

Pas chez eux

Certains enfants échappent tout simplement aux équipes de vaccination. Certaines maisons sont marquées comme ayant été « faites » lorsqu’elles ne l’ont pas été et, dans certains districts, jusqu’à 40 % des ménages ont été marqués par le personnel de vaccination comme n’ayant pas d’enfants de moins de cinq ans. Ceci n’est pas plausible étant donné la structure d’âge de la population locale.

« Les enfants ne sont pas chez eux, c’est tout », observe le Dr Jonathan Veitch, de l’Initiative mondiale pour l’éradication de la polio. Dans les zones rurales, les mères emmènent souvent les bébés et les nourrissons avec elles dans les champs où elles travaillent ; dans les zones urbaines, elles les emmènent sur leur lieu de travail, partant tôt le matin et revenant tard.

Veitch aide à coordonner les équipes de « mobilisateurs sociaux », ces personnes qui éduquent les collectivités en leur faisant découvrir les avantages de la vaccination antipoliomyélitique et discutent avec les gens de leurs craintes. Les données qu’il a recueillies montrent que les parents qui s’opposent réellement à la vaccination antipoliomyélitique sont très peu nombreux. Les mobilisateurs sociaux ont obtenu des résultats remarquables auprès de ce petit nombre d’opposants, parvenant à convaincre près de la moitié d’entre eux qu’il était dans leur intérêt de se faire vacciner.

Wenger estime que les performances du personnel de vaccination et la qualité de la supervision peuvent être améliorées assez facilement grâce à une formation bien ciblée. Les équipes doivent être revigorées et doivent comprendre l’urgence de la situation, dit-il : certains éprouvent une certaine lassitude après les interventions répétées dans le cadre des journées nationales de vaccination. Mais Wenger espère que l’on a à présent retrouvé un sentiment d’urgence. Les équipes ont achevé mi-octobre la première de quatre séries de journées nationales de vaccination ; les séries suivantes auront lieu en novembre, en janvier et en février. « Nos premiers résultats indiquent que certains des changements que nous avons mis en oeuvre ont apporté une certaine amélioration. »

Un changement majeur a été l’augmentation de l’effectif des équipes de vaccination, qui est passé de deux à trois personnes, le troisième membre de l’équipe étant une personne du village ou de la localité. « Cette personne peut dire s’il y a des enfants dans telle ou telle maison », poursuit Wenger. En outre, il y a plus de chances que les familles se laissent convaincre de l’utilité de la vaccination antipoliomyélitique si les étrangers à sa porte sont accompagnés de quelqu’un qu’elles connaissent et qu’elles respectent. Comme au Nigeria, le nombre de femmes travaillant dans les équipes de vaccination est à la hausse. Le nombre de surveillants est également passé à un pour trois équipes, au lieu d’un pour cinq. De même, le processus de suivi a été amélioré afin d’obtenir plus de détails sur les performances du personnel de vaccination et d’assurer une plus grande cohérence entre les données des différents partenaires. « Cela demandera un certain travail, mais si ces deux prochaines séries de vaccination se passent bien, il n’est pas impossible que nous achevions la tâche d’ici la fin de l’année 2003 », dit Wenger.

Pakistan : innovation, réexamen constant et pas de complaisance

Les succès qu’a connus la lutte antipoliomyélitique au Pakistan ont conduit certains à dire qu’elle pourrait servir de modèle aux autres pays. Depuis 1999, le nombre de cas a diminué progressivement. Les tous derniers chiffres pour 2002 indiquent 57 cas. Les équipes de vaccination contre la poliomyélite ont « bombardé » les régions où le risque était le plus élevé, au sud du Punjab et au nord de la province de Sind, ainsi que les villes de Karachi et de Peshawar. « On a assisté à un remarquable revirement de situation à Peshawar », constate le Dr Rehan Hafiz, responsable du PEV au Pakistan. « Jusqu’à cette année, nous n’arrivions pas à nous débarrasser du virus, mais pour l’heure, nous n’avons pas vu de cas de poliomyélite depuis trois ou quatre mois. »

Le Dr Anthony Mounts, qui travaille au Bureau de l’OMS au Pakistan, dit que les efforts de lutte contre la poliomyélite au Pakistan sont maintenant concentrés sous forme d’attaques extrêmement énergiques, limitées géographiquement aux régions où le risque est le plus élevé. Dans certaines de ces régions, les équipes auront effectué huit campagnes d’ici la fin de l’année, soit deux fois plus que dans le reste du pays. Bien que, de toute évidence, il ne soit pas viable à long terme de réaliser huit campagnes par an, comme l’affirme Mounts, cette stratégie semble à court terme porter ses fruits.

Hafiz estime que l’un des plus grand succès a été la décision de faire appel à des sociétés ou agences locales indépendantes pour prendre en charge le suivi des campagnes et fournir des retours d’informations rapides, en temps réel, qui peuvent permettre de modifier la qualité d’une campagne au cours de son déroulement. Gallup Pakistan, filiale de la société internationale de sondage, a été l’une des entreprises chargées du suivi, tandis que l’université d’Ayubia et une agence du secteur social, SoSec, ont également apporté leur concours. Les équipes de suivi se rendent sur le terrain la semaine suivant la campagne et contrôlent les régions de manière intermittente pour voir si le personnel de vaccination y est bien passé et si des enfants n’ont pas été oubliés. Si un village ou une collectivité entière n’ont pas été vaccinés, les contrôleurs contactent directement les bureaux de coordination de la campagne de manière à ce qu’une équipe puisse être envoyée immédiatement sur place. Le contrat stipule que toutes les données de suivi doivent être renvoyées sous deux semaines, pour qu’une action de rattrapage puisse être mise rapidement en oeuvre si nécessaire.

Le Pakistan doit faire face à des défis qui lui sont spécifiques, y compris la fourniture de services à un grand nombre de réfugiés afghans. « Les réfugiés tiennent beaucoup à se faire vacciner ; le défi consiste purement à surmonter les difficultés pour atteindre ces collectivités », dit Hafiz. Mais le défi ne s’est pas révélé insurmontable. A Karachi, par exemple, où une vaste population de réfugiés afghans a établi résidence jusqu’à présent, l’équipe a recruté une Afghane pour les aider, ce qui lui a permis d’être acceptée plus facilement par les familles.

Hafiz ne se repose pas pour autant sur ses lauriers. L’approche adoptée par le Pakistan a beau être décrite par d’autres comme un modèle à suivre, il hésite à accepter le compliment. « Ce n’est pas un programme parfait. » Mais Hafiz entrevoit maintenant la lumière au bout du tunnel. « Nous pouvons dire avec confiance aujourd’hui que, sur 120 districts à peu près, la poliomyélite ne circule que dans 30 d’entre eux environ. Nous hésitons vraiment beaucoup à utiliser le terme ‘exempt de poliomyélite’. » Hésitants, soit. Mais peut-être - seulement peut-être - peut-on se laisser aller à espérer.

Phyllida Brown

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