Pleins feux sur la vaccination

EN BREF - Octobre 2001

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Quand le réfrigérateur perd de sa fraîcheur

Les pannes de réfrigérateur empêchent une vaccination efficace dans de nombreuses formations sanitaires. Phyllida Brown a cherché à comprendre les raisons de cette situation et rapporte de nouvelles approches sur le maintien de la chaîne du froid.

UNICEF/HQ99-0892/Lemoyne
Ce n'est pas le moment de gâcher : les vaccins sont gardés au froid, même sur les trajets les plus ardus... pour finir gâchés dans le réfrigérateur d’une clinique ?

IL n’y a rien de particulièrement attrayant dans un réfrigérateur. Mais ceux qui travaillent dans le domaine de la vaccination savent que c’est un outil essentiel pour permettre à tous les enfants de bénéficier des vaccins dont ils ont besoin. Il est cependant pénible de constater que, dans des milliers de formations sanitaires de pays à faibles revenus, les réfrigérateurs fonctionnent si mal qu’il est impossible de vacciner de manière efficace. Conséquence : des enfants restent sans protection et des vaccins coûteux sont parfois gaspillés.

« Le problème de gestion et de maintenance de l’équipement est généralisé », explique Modibo Dicko, du Bureau régional de l’OMS pour l’Afrique, à Harare.

Les données réelles sont rares mais les rapports individuels de pays africains montrent que près d’une formation sanitaire sur quatre ne peut dispenser régulièrement des vaccinations à cause de pannes de réfrigérateur. Ces chiffres sont sans doute représentatifs de la région, d’après John Lloyd, ancien responsable de la section chaîne du froid au sein du Programme Etendu de Vaccination de l’OMS et à présent en poste au sein du Programme de Technologie Appropriée en Santé (PATH).

Souleymane Kone, un logisticien de l’OMS en Côte d’Ivoire, a présenté une évaluation de la gestion globale des vaccins dans treize pays africains lors de la réunion du réseau TechNet (réseau technique de logistique sanitaire) à Delhi, en août. Cette évaluation a mis en relief des problèmes significatifs en matière de maintenance et d’approvisionnement en pièces de rechange pour réfrigérateur(1).

Ce problème ne concerne pas seulement les pays africains. Les pannes de réfrigérateur sont également courantes en Asie du Sud où IT Power India a mené des études et des programmes de réparation. Cette firme de consultants privée, spécialisée dans les solutions environnementales et les solutions d’énergie renouvelable, a son siège à Pondichéry. Dans l’un des cas les plus graves, à Bihar, près de la moitié de l’équipement de la chaîne du froid ne fonctionnait pas au moment de l’enquête qui a précédé le programme de réparation en 1998. Une enquête menée au Népal cette année semble indiquer également des problèmes à grande échelle(2).

Une grande partie des pannes de réfrigérateur sont dues à une rupture dans l’approvisionnement en pièces de rechange. Les pièces manquantes sont souvent des consommables comme les mèches, le carburant et les verres pour les réfrigérateurs à pétrole, qui représentent une grande partie des unités de stockage de vaccins. La faiblesse de la gestion du système constitue une cause essentielle de ce problème d’approvisionnement : les commandes de pièces de rechange ne sont pas faites de manière efficace, le contrôle des stocks présente de grosses lacunes et les produits ne sont pas livrés là où il faudrait. « Tout se casse la figure », s’exclame M. Lloyd. « Souvent, il n’y a pas de système pour la passation automatique des commandes. » Quand les pièces de rechanges sont commandées de manière désordonnée, elles peuvent finir là où il ne faudrait pas et être détournées à d’autres fins. « Il faut que le flot de pièces de rechange soit garanti », dit M. Lloyd. Cela ne devrait pas, en principe, poser de grandes difficultés parce que la durée de vie des consommables est prévisible.

D’après Dr. Dicko, la formation et l’emploi des techniciens constituent un autre problème fondamental. Dans la plupart des pays, le Ministère de la Santé est responsable de la maintenance de la chaîne du froid, mais les salaires du gouvernement sont trop bas pour retenir les techniciens. Jusqu’à la fin des années 90, l’OMS apportait son assistance à la formation de techniciens de maintenance de réfrigérateur au sein du Ministère de la Santé dans certains pays d’Afrique. Le programme a pris fin une fois qu’on s’est aperçu que près de la moitié des personnes formées quittaient leur poste pour aller travailler dans le secteur privé dans les deux ans suivant leur formation. Certaines d’entre elles emportaient avec elles leurs boîtes à outils - toutes neuves - d’une valeur approximative de 1 000 US$.

Photo: Anan Narasimhamiva/Voxiva

Parce que leurs budgets sont limités et que les techniciens du gouvernement sont peu nombreux, de nombreux districts sanitaires ne peuvent faire les réparations nécessaires au moment voulu. Par conséquent, selon le Dr Dicko, dans les pays d’Afrique où le problème à a été étudié, près de 70 pour cent des interventions de maintenance dans les districts sanitaires sont effectuées par des techniciens du secteur privé qui n’ont pas toujours les pièces ou les compétences requises. « Il est plus facile d’appeler le réparateur du coin et de lui confier le travail », dit Dr Dicko. « Cependant, s’il n’a pas les pièces correspondantes, l’équipement reste inutilisable. » Plus récemment, les électriciens du secteur privé ont été invités à assister à la formation et représentaient près de la moitié des personnes à former.

Certains gouvernements et organisations non gouvernementales étudient la possibilité de recourir au secteur privé non seulement pour les services de techniciens, mais également pour la maintenance de l’ensemble de la chaîne du froid. Pour eux, une entreprise commerciale a plus d’intérêts à assurer la maintenance de son équipement et à retenir son personnel qu’une entité du secteur public. « Allez acheter une bouteille de cola dans n’importe quel magasin. Vous verrez : leur réfrigérateur marche », fait remarquer M. Lloyd. Dans un système privatisé, l’entreprise achète l’équipement de la chaîne du froid au gouvernement. Elle lui loue ensuite un système correctement entretenu, mais il lui appartient de payer ses propres techniciens, de passer les commandes des pièces de rechange, d’effectuer le contrôle des stocks, puis d’en organiser la distribution.

La Côte d’Ivoire, par exemple, vient de passer un contrat d’une durée de cinq ans, par lequel le Ministère de la Santé soustraite la gestion de la chaîne du froid à une entreprise privée. Si cette expérience est concluante, d’autres pays pourraient suivre, d’après Dr Dicko, bien que certains gouvernements aient déjà fait part de leur opposition à une telle solution.

Terry Hart, de IT Power, plaide en faveur d’une autre approche au Népal : la décentralisation de la maintenance de la chaîne du froid. A l’heure où d’autres éléments du système de santé sont décentralisés, confier la maintenance à de petites organisations communautaires pourrait s’avérer une option des plus efficaces.

La gestion de la chaîne du froid au sein du pays est, certes, essentielle ; mais encore faut-il assurer l’acquisition et la livraison des pièces de rechange au pays. La plupart des pays n’ont pas l’infrastructure nécessaire pour fabriquer eux-mêmes les pièces. L’UNICEF, depuis toujours le responsable de l’achat des vaccins du Programme Etendu de Vaccination, a également pris la responsabilité de l’achat des pièces de rechange pour la chaîne du froid. Mikko Lainejoki, de la Division Approvisionnement de l’UNICEF à Copenhague, explique : « chaque fois que nous fournissons un grand nombre d’unités de la chaîne du froid, nous insistons toujours sur la nécessité d’inclure des pièces de rechange dans l’achat initial. Le but est de mettre en place un système de réalimentation systématique du stock de pièces de rechange. »

Cependant, pour que ce système fonctionne correctement, le gouvernement doit demander suffisamment de pièces de rechange à l’UNICEF et celles-ci doivent arriver à temps. La première, comme la seconde condition, ne sont pas toujours réalisées.

Failing refrigerators: data from 8 countries
Country Total equipment Number non functioning % non functioning
Benin 477 70 15%
Burkina 922 214 23%
Niger 738 173 23%
Malawi 624 91 15%
Mozambique 747 101 14%
Uganda 1955 22 1%
Zambia 1101 135 12%
Zimbabwe 1997 119 6%
Total 8561 925 11%

Des fournitures bloquées au port

Depuis un certain temps, certains gouvernements ont commencé à acheter les pièces de rechange pour la chaîne du froid en puisant dans leurs propres ressources budgétaires au lieu de les recevoir de l’UNICEF. La plupart du temps, ils continuent d’acheter par le biais de l’UNICEF, comme par exemple l’Inde. L’UNICEF est exonéré de taxes à l’importation, mais si un gouvernement achète ses propres pièces de rechange, le Ministère de la Santé peut avoir à s’acquitter de ces taxes. Les fonds destinés au paiement de ces taxes - requises parce que les pays cherchent à élargir leur assiette fiscale - sont censés figurer au budget de la santé ou encore, dans certains pays, être remboursés par le Ministère des Finances. Cependant, dans certains cas, par manque de fonds ou à cause d’une mauvaise communication ou d’une mauvaise gestion, le paiement des taxes n’est pas effectué et les fournitures restent en douane, ce qui retarde encore plus la livraison de l’équipement.

Mary Ann Carnell est directrice technique d’un projet de santé familiale que John Snow Incorporated, une firme de consultants internationale intervenant dans le domaine de la santé, et l’Agence des Etats-Unis pour le développement international (USAID) réalisent à Madagascar. Le projet s’effectue en collaboration avec le Ministère de la Santé malgache. Elle rappelle que, dans un passé récent, des pièces de rechanges pour réfrigérateur à vaccins sont restées bloqués au port pendant près de deux ans à cause de problèmes de paiement de taxes. Ces problèmes sont en cours de résolution, mais des délais particulièrement frustrants subsistent dans la livraison et la distribution des pièces. Le Ministère de la Santé envisage plusieurs options, dont des appels d’offres à destination de fournisseurs nationaux et des appels d’offres par l’intermédiaire de la centrale d’achat de médicaments, une organisation privée à but non lucratif, pour que les pièces arrivent plus rapidement à l’avenir.

Selon Lloyd, le financement constitue un autre problème. Le coût des pièces de rechange est relativement élevé par rapport à celui des réfrigérateurs, commente Lloyd. Les fabricants ont tendance à ne prendre qu’une marge très faible sur le produit initial et à se rattraper sur la vente de pièces de rechange. Avec des budgets très serrés, les gouvernements ont du mal à payer la facture. Pourtant, peu de bailleurs sont disposés à investir dans les pièces de rechange ou dans la maintenance de la chaîne du froid, qu’ils considèrent comme des coûts récurrents et non pas comme des coûts de capital et relevant, à ce titre, de la responsabilité des gouvernements.

Un problème solvable

« Il faut traiter le problème sous tous ses aspects », estime Dr Dicko. « Faire la projection des besoins en équipement, installer cet équipement, assurer l’approvisionnement permanent en carburant et en pièces de rechange, s’assurer que la température est régulièrement vérifiée : tout cela est essentiel. » Il insiste sur le fait que, si la maintenance peut être confiée au secteur privé, certaines tâches importantes, comme le suivi des performances, doivent être assumées par le secteur public.

En fin de compte, le problème des réfrigérateurs est plus facile à résoudre que bien d’autres problèmes auxquels les programmes de vaccination sont confrontés, mais il est négligé. Avec l’arrivée de la nouvelle génération de vaccins « à dollars par dose », les bailleurs voudront plus que jamais voir moins de gaspillages. Les gouvernements, quant à eux, voudront assurer une bonne gestion des vaccins. « Les partenaires de l’Alliance devraient faire beaucoup plus », conclut Dr Dicko. « Ils devraient commencer à mettre la pression sur les bailleurs pour qu’ils se penchent sur ce problème. »

Source: DANIDA 1988

Références :

1. . Kone, S. Présentation faite à TechNet 2001 , New Delhi.

2. Terry Hart, PDG de IT Power India, communication personnelle. IT Power India est une filiale de IT Power Ltd, au Royaume-Uni. website.

Phyllida Brown

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