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RAPPORT SPECIAL - Décembre 2001
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Les besoins en vaccins conjugués augmentent
Confrontés à une insuffisance de certains stocks de vaccins plus importante que prévue, certains pays se voient obligés de faire des choix. Reportage de Phyllida Brown
LORSQUE les gouvernements ont commencé à définir les plans vaccinaux qu’ils devaient inclure dans leurs propositions à GAVI l’année dernière, la plupart d’entre eux ont indiqué qu’ils voulaient avoir recours aux nouveaux vaccins conjugués - c’est-à-dire à des vaccins qui protègent l’enfant contre quatre ou cinq maladies à la fois - plutôt qu’à deux ou trois vaccins séparés. Les bénéfices à en retirer sont évidents : moins d’aiguilles, moins de protocoles, moins de contraintes pour les personnels médicaux, les enfants et les parents. La fin de l’année 2001 se doit de constater que l’offre des vaccins de ce type est encore loin de répondre à la demande, et qu’il est possible qu’il faille attendre encore trois ans avant que tous les pays demandeurs voient leurs besoins couverts.
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La frustration des directeurs de programmes vaccinaux et de tous ceux qu’ils servent est grande, sans compter celle de GAVI dans son ensemble. La politique de l’Alliance exprime clairement sa préférence, dans la mesure du possible (1), pour les vaccins conjugués. Deux combinaisons de vaccins sont essentiellement concernées : diphtérie, tétanos, coqueluche et hépatite B (DTCHepB) et une combinaison de cinq anticorps (pentavalente) qui comprend l’Haemophilus influenzae B (DTC HepBHib). L’année dernière, GAVI avait été informée qu’environ 30 millions de doses de ces deux vaccins seraient disponibles en 2002. Or, le fabricant actuel, GlaxoSmithKline, vient d’annoncer que le nombre réel des doses se rapprocherait plutôt des 20 millions. « C’est pour nous un défi majeur que nous devons relever », a déclaré le Secrétaire général de GAVI, Tore Godal.
L’an passé déjà, GAVI avait porté à l’attention de certains pays qu’il existait encore trop peu de doses de ces deux vaccins, relativement nouveaux, pour répondre aux besoins de tous ceux qui en avaient fait la demande (2). Le Conseil d’administration s’était donc entendu sur une politique d’attribution des vaccins disponibles. Ainsi, l’attribution des vaccins aux pays demandeurs s’est faite sur la base des besoins, accordant la priorité aux pays pourvus des systèmes de vaccination les plus fragiles et où la fréquence des vaccinations systématiques était la plus basse. Argument principal : plus le système de vaccination est fragile, plus il est difficile d’y ajouter des immunisants séparés. On notera toutefois que le Conseil d’administration avait d’emblée rayé le Pakistan et le Bangladesh de la liste des pays demandeurs ; en effet, de par leurs fortes populations, ces deux pays auraient, à eux seuls, utilisé la totalité des stocks disponibles.
Bien que le fabricant ait presque doublé sa production en l’espace d’un an, celle-ci n’a pas augmenté autant qu’on s’y attendait. Par conséquent, les 12 pays qui se sont vus attribuer un certain nombre de ces vaccins conjugués (voir Tableau) vont continuer à être approvisionnés, mais aucun pays nouveau ne sera ajouté à la liste, ni en 2002, ni en 2003. GlaxoSmithKline a annoncé qu’une production accrue serait disponible dans les premiers mois de 2004, mais qu’il faudrait probablement attendre 2005 avant de pouvoir satisfaire la demande de chaque pays.
Tableau 1 : Les pays déjà approvisionnés en vaccins conjugués
Les pays approvisionnés en vaccin DTC+HepB :
Le Cambodge, la Côte d’Ivoire, l’Erythrée, la République populaire démocratique du Laos, Madagascar, le Mozambique, la Tanzanie
Les pays approvisionnés en vaccin DTC+HepB+Hib :
Le Ghana, le Kenya, le Malawi, le Rwanda, l’Ouganda |
Un fabricant prudent
Que s’est-il donc passé ? En premier lieu, il semblerait que le fabricant n’ait pas été prêt à engager les investissements nécessaires à l’accroissement de sa production avant d’avoir reçu confirmation expresse du nombre de vaccins que GAVI entendait lui acheter. Trois ans, voire cinq ans sont en général nécessaires pour passer à une échelle de production supérieure, y compris pour la préparation de l’usine de fabrication. L’augmentation de sa capacité de production ne saurait être toutefois sérieusement envisagée par un fabricant que lorsqu’il est certain des engagements de ses acheteurs. « Bien que les vaccins conjugués aient été mis en vente pour la première fois en 1996 », explique Walter Vandersmissen, de GlaxoSmithKline, « la demande est restée très faible jusqu’en 1999. Au début, elle était même inexistante. » Surprise, la société n’a pas bougé, se demandant si elle aurait jamais des clients pour ce type de vaccins. Puis, en 1999, le fonds renouvelable de l’Organisation panaméricaine de la santé (l’OPS) a commencé à acheter la formule pentavalente DTCHepBHib. « Jusqu’alors, bien évidemment, nous n’avions pas augmenté notre production », ajoute W. Vandersmissen.
En 2000 et 2001, GlaxoSmithKline a fabriqué autant de ces deux vaccins conjugués qu’il lui a été possible. « Nous avons atteint la limite de notre capacité », dit Walter Vandersmissen. Les prévisions de la société, selon lesquelles 30 millions de doses de vaccins seraient disponibles pour GAVI en 2002, étaient donc soumises à tout évènement contingent, aussi minime soit-il.
Des pays nécessitant plus de temps
Walter Vandersmissen indique que GAVI elle-même, peut-être inévitablement, a été plus lente à approuver les pays en droit d’être approvisionnés en vaccins que ce que le calendrier initial quelque peu ambitieux qu’elle s’était fixé ne le prévoyait. Bien que ce processus ait été plus rapide que les mécanismes de financement traditionnels, son comité d’examen indépendant a dû demander des compléments d’informations auprès d’un certain nombre des pays demandeurs avant de pouvoir approuver leurs propositions. Par ailleurs, certains pays se sont rendu compte qu’il leur fallait plus de temps pour recueillir les informations demandées. « En conséquence de quoi », explique Steve Jarrett, à l’UNICEF, responsable de l’achat des vaccins au nom des pays approuvés par GAVI et bénéficiant, à ce titre, d’un soutien du Fonds mondial pour les vaccins, « le nombre [de vaccins] que nous avons achetés cette année est relativement réduit comparé à ce que nous pensions acheter … puisque certains pays ont démarré très lentement ». Ceci semble être la raison pour laquelle GlaxoSmithKline s’est prudemment gardée de se lancer dans l’accroissement immédiat de sa capacité maximale de production.
« Initialement », ajoute Steve Jarrett, « l’UNICEF avait projeté d’acheter 24 millions de doses des deux vaccins conjugués en 2001 ; mais leur livraison aux pays approuvés n’a pas commencé avant l’automne. Ceci s’explique en partie par le fait que les vaccins conjugués n’étaient pas disponibles avant la deuxième moitié de l’année et que certains pays ne désiraient être approvisionnés que tard dans l’année afin de leur permettre de se préparer », ajoutet- il.
Faites la queue : la production de vaccins doit être planifiée des mois, voire des années à l’avance |
Il est également possible que les décisions commerciales de GSK aient eu leur rôle à jouer. Dans sa décision d’attribution d’anticorps à la fabrication de chacun des deux vaccins conjugués, il semblerait que la société ait décidé de fabriquer relativement plus de vaccins DTCHepBHib (pentavalents), pour lesquels la demande initiale des pays demandeurs était plus modeste, que de vaccins DTCHepB (tétravalents), pour lesquels la demande était considérablement plus importante. Une dose de vaccin pentavalent coûte plus de $3, alors qu’une dose de vaccin tétravalent coûte environ $1. « Il est difficile de comprendre pourquoi les vaccins pentavalents ont été fabriqués en si grande quantité alors que l’offre de l’UNICEF et les projections de la demande faites par le groupe de prévisions [de GAVI] étaient beaucoup plus basses », s’interroge Julie Milstien, du Département des Vaccins et Produits Biologiques de l’OMS.
Walter Vandersmissen, de GlaxoSmithKline, reconnaît que le vaccin pentavalent plus cher est plus attractif à fabriquer. « Il y a une différence de prix et, clairement, c’est plus intéressant pour nous d’inclure les produits les plus nouveaux dans notre production », explique-t-il. Mais il souligne que les prix respectifs de ces deux produits ne sont pas directement comparables car le vaccin tétravalent est conditionné en fioles de 10 doses alors que le vaccin pentavalent se présente en fioles « double dose ».
« Faire des bénéfices n’est pas notre seule considération », ajoute-t-il. « Tout d’abord, la société s’était entendu dire qu’il était probable que la demande en vaccins pentavalents augmente à l’avenir. Ensuite, la composante Hib du vaccin pentavalent doit être lyophilisée, et la concurrence dans notre site de production en termes de capacité lyophilisante crée un véritable « goulot d’étranglement ». Ayant attribué une part considérable de cette capacité à l’Hib, la société ne pouvait se permettre de la gâcher. Lorsque vous disposez d’une ressource limitée, vous devez l’optimiser », conclut-il.
Tandis que la pénurie continue, il existe d’autres alternatives. Le vaccin contre l’hépatite B est disponible en quantités suffisantes sous forme monovalente ; si l’on considère le temps d’attente avant que le vaccin conjugué ne soit disponible, il est possible que la plupart des pays décident d’avoir recours au vaccin monovalent, en association avec le DTC. Selon Godal, les pays se seraient jusqu’ici montrés « très pragmatiques » face à cette inadéquation de l’offre et de la demande. Il est confiant dans le fait que les temps d’attente n’auront qu’un impact minimal.
A moyen terme, il se pourrait qu’un vaccin conjugué alternatif soit disponible à partir de 2002. Ce vaccin tétravalent, sous forme liquide, qui associe un DTC à un Hib, est fabriqué par Chiron Vaccines ; on s’attend à ce qu’il soit préqualifié sous peu par l’OMS. Une association lyophilisée des quatre mêmes anticorps a été soumise à l’approbation de l’OMS. Certains pays pourraient choisir d’utiliser l’un d’entre eux en association avec un vaccin monovalent contre l’hépatite B, bien qu’on ne sache pas encore quelles seront les quantités disponibles.
« Malgré les nouveaux fonds disponibles pour l’achat de vaccins, le système dans son ensemble demande à être amélioré », estime Klaus Friederich, Responsable de la politique institutionnelle internationale et gouvernementale chez Chiron Vaccines, à Marburg. « L’industrie a besoin d’être informée plus tôt des décisions du secteur public quant au nombre de doses de chaque vaccin dont il a besoin, ainsi que d’un engagement plus ferme d’acheter », dit-il. Il est, quant à lui, tenu d’attendre la décision finale concernant la quantité de vaccins DTCHib liquides que l’UNICEF achètera à Chiron en vue d’une livraison à compter de septembre 2002. « Mais 50 semaines sont nécessaires à la production de ce produit. Qu’est-ce que je vais dire aux gars de la production ? », demande-t-il.
Mais Julie Milstien, de l’OMS, rappelle que le vaccin n’est toujours pas préqualifié, l’OMS attendant que Chiron lui fournisse des informations « d’ordre mineur ». « C’est un cercle vicieux. » Tout le monde, semble-t-il, attend tout le monde. « Nous demandons aux pays de considérer quel est le vaccin de substitution vers lequel ils se tourneront », dit Tore Godal. « Nous espérons être en mesure de prendre des décisions début février. »
Tous les acteurs peuvent suggérer des manières d’améliorer le processus. Klaus Friederich a du mal à accepter que les acteurs du secteur public ne puissent pas s’engager plus tôt à acheter des vaccins dont la durée de conservation dépasse un an. Les responsables du secteur public font à leur tour remarquer que, depuis la création de GAVI, un certain nombre de réunions de prévision ont eu lieu, auxquelles l’industrie a toujours été présente, ce qui lui permet d’anticiper la demande future.
En fin de compte, le petit nombre d’acteurs de l’industrie du vaccin crée un marché de vendeurs pour certains produits, ce qui, de l’avis de plusieurs observateurs, est inapproprié. Ainsi, selon Klaus Friederich, l’OPS devrait dire dans peu de temps à Chiron combien de vaccins DTCHib elle veut lui acheter, se plaçant de facto devant l’UNICEF en tant que client. Friedrich pense qu’étant donné le nombre limité de vaccins disponibles, il ne devrait pas appartenir au fabricant de décider à quels acheteurs du secteur public donner la priorité.
« Tout le monde se donne beaucoup de mal, et ce défi nous concerne tous », dit-il. « Il faut vraiment que le système fasse l’objet d’ajustements. »
Références
(1) Immunize Every Child, document stratégique de GAVI, février 2000 (Word 366k)
(2) Politique du Conseil de GAVI relative aux vaccins disponibles en quantités limitées
Phyllida Brown
Pleins feux sur la vaccination • Décembre 2001 - Contenu
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