Pleins feux sur la vaccination
novembre 2000
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MISE A JOUR
Une recherche qui porte ses fruits
Alors que GAVI décide de ses priorités en matière de recherche et développement, Karen Birmingham enquête sur les domaines négligés
DEMANDEZ à n’importe quelle personne travaillant dans la santé publique de citer quelques priorités en matière de recherche dans les pays en développement, et vous pouvez être pratiquement sûr que l’on vous citera les nouveaux vaccins contre le VIH, la tuberculose et le paludisme. Mais certains citeront également d’autres problèmes tout aussi urgents. Un enfant sur quatre dans le monde n’a toujours pas été vacciné dans le cadre d’une opération systématique avec des vaccins existants et peu onéreux. Jusqu’à la moitié des vaccinations administrées dans le monde entier pourrait présenter une sécurité insuffisante, ce qui fait courir aux enfants des risques d’infections mortelles transmises par le sang. Et la mise au point de certains vaccins importants stagne parce que les systèmes actuels, basés sur les lois du marché, offrent aux fabricants peu d’incitations à les produire pour les pays en développement.
De plus en plus de spécialistes estiment que ces problèmes doivent être abordés, peut-être même avant que l’on n’investisse le moindre dollar supplémentaire dans la mise au point de nouveaux vaccins.
"Nous savons déjà faire un certain nombre de choses, et pour celles où nous n’avons pas besoin de recherche, c’est la mise en œuvre qui compte", déclare Mark Kane, directeur du Programme Bill et Melinda Gates de vaccins pour les enfants. "Mais nous avons également besoin de pratiquer un peu de recherche opérationnelle pour améliorer nos connaissances et établir l’efficacité des approches et des technologies nouvelles".
Ce mois-ci, le Conseil d’administration de GAVI est appelé à se demander comment les partenaires de l’Alliance et le Fonds mondial pour les vaccins de l’enfant devront soutenir la recherche et le développement en vue d’accélérer l’introduction de produits, systèmes et techniques de vaccination qui soient profitables aux plus pauvres du monde. Le Fonds constituera un canal de soutien. La taille du budget de recherche et développement n’a pas encore été déterminée (voir encadré ).
GAVI et le rôle du Fonds mondial dans la recherche et le développement
Le Fonds mondial pour les vaccins de l’enfance possède trois comptes subsidiaires distincts: un pour l’achat de vaccins nouveaux et sous-utilisés tels que ceux contre l’hépatite B; un autre pour améliorer les services de vaccination dans les pays les plus pauvres; et un troisième pour accélérer la mise au point et l’introduction de produits, systèmes et techniques de vaccination. Les ressources des deux premiers comptes subsidiaires ont déjà été attribuées aux pays, mais les règles fondamentales pour le troisième sont encore en cours d’élaboration.
Puisque GAVI fixe les priorités en matière de recherche et de développement, il est clair que le Fonds ne soutiendra que certaines d’entre elles, alors que d’autres seront assumées par des partenaires individuels de l’Alliance. Les décisions relatives aux projets qui seront soutenus seront prises par le Conseil d’administration de GAVI.
Il est convenu que le Fonds ne doit pas soutenir une recherche que d’autres organes financent déjà, ni remplacer des sources de financement traditionnelles. |
GAVI a été constitué pour compléter les efforts de vaccination actuels dans le monde et non pour faire double emploi avec les efforts entrepris par d’autres. Il est donc envisagé que l’Alliance soutienne quelques domaines de recherche et développement triés sur le volet qui sont actuellement relativement négligés, plutôt que de financer des projets déjà financés par d’autres sources.
Parmi les domaines ciblés peuvent se trouver la recherche opérationnelle – portant par exemple sur l’analyse des mesures d’incitation dont les entreprises doivent bénéficier pour mettre au point des produits profitant essentiellement aux populations les plus pauvres; mesurer les retombées de la formation des travailleurs de la santé à des pratiques sûres; ou mesurer la charge de morbidité des maladies dans les pays en développement où les données sont rares.
Pleins feux sur la vaccination a demandé à certains grands organismes impliqués dans la recherche sur les maladies infectieuses d’indiquer les montants relatifs qu’ils consacrent à la recherche fondamentale, à la recherche clinique et à la recherche opérationnelle. Force a été de constater, sans surprise, que les données ne sont pas comparables, du fait que la recherche est catégorisée de manière différente dans les divers organismes. Néanmoins, la plupart des organismes contactés ont convenu que la recherche opérationnelle recevait un financement insuffisant.
Pour définir ses priorités, GAVI étudiera les propositions venant de plusieurs sources, y compris du Groupe spécial pour la recherche et le développement récemment constitué. Ce Groupe spécial, co-présidé par Myron Levine du Centre de mise au point de vaccins de l’université du Maryland, et un membre du Groupe de travail GAVI, Yasuhiro Suzuki de l’OMS et Rino Rappuoli, de Chiron, a procédé à de larges consultations pour aider à clarifier le rôle de GAVI. Le Groupe a demandé à Peter Wilson, consultant ayant plus de 20 ans d’expérience dans le travail avec l’industrie pharmaceutique et des vaccins, de dégager l’opinion d’un vaste éventail d’individus ayant un enjeu dans la vaccination.
Wilson a élaboré un questionnaire en 8 points demandant aux personnes interrogées d’indiquer la priorité des aspects de recherche et de développement selon s’ils sont "essentiels, secondaires ou externes" par rapport au champ d’action du Groupe spécial. Cet exercice a identifié trois vaccins relativement proches de la commercialisation mais actuellement négligés, comme susceptibles de mériter un soutien qui leur permettrait de surmonter les derniers obstacles à leur mise au point: les vaccins conjugués anti-pneumococciques qui protégeraient contre les souches de Streptococcus pneumoniae prévalentes dans les pays en développement; les vaccins contre les rota virus; et le vaccin anti-méningococcique A. Ces trois vaccins ont été sélectionnés parce que, comme le dit le Groupe spécial, ils représentent des fruits presque mûrs "qui pendent sur des branches basses", et que leur avantage potentiel pour la santé publique est manifeste.
Le Groupe spécial reconnaît que les vaccins contre le paludisme, le VIH et la tuberculose revêtent de fortes priorités, mais ajoute qu’un "effort mondial massif" leur est déjà consacré, et précise que les infrastructures pour les administrer dans les pays en développement ne sont pas encore en place. En consacrant au contraire des ressources à ces trois vaccins quasiment prêts, l’Alliance pourrait également aider à préparer les infrastructures pour la fourniture de vaccins contre le paludisme, le VIH et la tuberculose lorsque ceux-ci seront disponibles, ajoute le Groupe spécial.
Outre ces trois produits, le Groupe spécial a accepté de sélectionner au maximum trois autres projets. La direction que ces projets prendront sera sans doute définie à la réunion de novembre.
Les personnes ayant répondu au questionnaire de Wilson accordent également une grande priorité à la recherche visant à mesurer la charge de morbidité de maladies spécifiques évitables par la vaccination dans les pays en développement. Ces données sont précieuses, non seulement pour les responsables politiques, mais aussi pour les fabricants de vaccins qui sont de plus en plus tributaires de telles informations pour calculer la valeur marchande potentielle de nouveaux vaccins.
Les données sur la charge de morbidité se sont avérées un des trois facteurs clef influençant l’inclusion des vaccins contre l’hépatite B et Haemophilus influenzae de type b dans les programmes de vaccination nationaux 1 .
Orin Levine, du National Institutes of Health (NIH) des Etats-Unis, qui a organisé une réunion de deux jours sur la charge de morbidité au siège de l’OMS à Genève en octobre, résume la situation: "Pour dire les choses simplement, les pays ne vont pas envisager de payer pour un vaccin contre une maladie qu’ils ne sont pas convaincus d’avoir." Mais Levine souligne que pour de nombreuses maladies evitées par de nouveaux vaccins, telles que la pneumonie provoquée par le Hib et les maladies diarrhéiques causées par le rota virus, il est délicat d’établir la charge de morbidité locale de la maladie.
Dites "aah": Orin Levine étudie la charge de morbidité du Hib en Alaska
"Au contraire de la rougeole ou de la polio, il n’y a pas de maladie clinique unique qui soit propre à ces agents". Carole Heilman, directrice de la division microbiologie et maladies infectieuses à NIAID, dont l’organisation finance un essai de vaccin anti-pneumococcique 9-valent en Gambie, reconnaît également l’importance de ces données: "La question que se posent les pays à forte charge de morbidité est: ce vaccin va-t-il nous être utile?"
Améliorer la sécurité des injections
Les dépenses consacrées à la recherche pour établir la charge de morbidité sont sans doute très faibles à l’heure actuelle, mais là encore, les chiffres sont difficiles à obtenir. Heilman, par exemple, déclare qu’elle a recruté une personne uniquement pour travailler sur la charge du Hib en Gambie. Mais elle avoue ne pas pouvoir donner d’estimations sur la somme que le NIH investit dans la recherche sur la charge de morbidité.
Parfois, quand les données sur la charge de morbidité font défaut, c’est aux enquêteurs qu’il incombe de réunir ces données dans le cadre d’un essai clinique. Prenons par exemple l’essai de phase III d’un vaccin anti-pneumococcique 11-valent aux Philippines. L’enquêteur principal, Hanna Nohynek de l’Institut national finlandais de santé publique, déclare: "Du fait que les chiffres sur la prévalence de maladie pneumococcique ne sont pas disponibles, nous avons intégré dans l’essai un composant de charge de morbidité. Sur cette base, nous devrions pouvoir calculer les économies réalisées grâce à l’introduction du vaccin dans une telle communauté."
Les pays en développement ont également besoin de meilleures méthodes de suivi de la couverture vaccinale. Le Chili est souvent cité en exemple du succès d’un programme de vaccination. "Mais notre système de suivi de la couverture est très primitif," déclare Rosanna Lagos de l’hôpital Roberto del Rio à Santiago, et membre du Groupe spécial sur la recherche et le développement. "Les dispensaires de vaccination doivent recourir au comptage du nombre de doses à des âges différents – après un an ou 6 mois - pour estimer le nombre d’enfants vaccinés". Lagos ajoute que le programme a un besoin désespéré d’un système informatisé de suivi des sujets.
Une autre inquiétude est liée au manque de sécurité des techniques d’injection. Des millions de piqûres sont effectuées chaque année dans les pays en développement. Une étude a estimé que jusqu’à 50% des injections présentent une sécurité insuffisante 2 . Selon un modèle, les techniques d’injection peu sûres peuvent provoquer environ 2,3 à 4,7 millions d’infections par l’hépatite C, 80.000 à 160.000 infections par le VIH et même 20% de toutes les nouvelles infections par l’hépatite B dans les pays en développement 3 . La recherche visant à établir l’impact de l’utilisation de seringues autobloquantes sur la réduction de ces infections est un autre point à l’ordre du jour du Groupe spécial sur la recherche et le développement.
Un autre domaine que les partenaires de GAVI vont explorer est la nécessité de documenter l’impact des efforts de communication tels que les campagnes de plaidoyer et d’éducation du public. Barry Bloom, doyen de la Harvard School of Public Health et membre du Groupe spécial sur la recherche et le développement, signale que les maladies évitées par des vaccins récents, telles que l’hépatite B et le Hib, risquent de ne pas être bien comprises par les pays en développement. "Les gens ont du mal à concevoir qu’un vaccin puisse prévenir le cancer du foie de nombreuses années plus tard", dit-il.
Ses ressources étant limitées, l’Alliance doit être sélective. Mais lorsqu’elle aura déterminé les tâches essentielles auxquelles elle a décidé de s’atteler, il y a des raisons d’espérer que chaque fois, leur réalisation permettra de se rapprocher un peu plus de l’objectif d’une vaccination universelle sûre.
Karen Birmingham est rédactrice à la revue Nature Medicine
Références
1. A model to estimate the probability of hepatitis B- and Haemophilus influenzae type b vaccine uptake into national vaccination programs. Miller MA, et al. Vaccine 2000 18: 2223-30.
2. Unsafe injections in the developing world and transmission of bloodborne pathogens: a review. Simonsen, L. et al. Bulletin de l’OMS. 1999; 77: 789-800.
3. Transmission of hepatitis B, hepatitis C and human immunodeficiency viruses through unsafe injections in the developing world: model-based regional estimates. Kane A. et al. Bulletin de l’OMS. 1999; 77: 801-7.
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