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ECHANGE D'IDEE - Mars 2001
In English
Ne perdez pas de vue une bonne vaccination systématique
GAVI et les gouvernements ont-ils bien compris les priorités ? Catriona Waddington ouvre le débat
LE même jour, trois choses se passent. Dans un pays d’Afrique occidentale, une petite fille est vaccinée au cours d’une Journée nationale de vaccination très médiatisée. Dans un pays d’Afrique orientale, un jeune garçon reçoit le vaccin contre l’Haemophilus influenzae type b (Hib) que son Ministère de la Santé vient juste de commencer à dispenser. Et dans un pays du sud de l’Afrique, un responsable de la santé publique du district appelle vivement à la prudence à l’égard des Journées nationales de vaccination (JNV) et les soi-disants vaccins « sous-utilisés ».
Etant donné que ni le garçon ni la fille n’auraient bénéficié de ces vaccinations sans les JNV et l’introduction de vaccins sousutilisés, pourquoi une personne adopterait-elle la position du responsable de la santé ?
Le responsable avait raison d’inviter à la prudence. Alors que les JNV et les nouveaux vaccins pour un pays peuvent être une chose attrayante, il y a un vrai danger qu’ils fassent oublier la tâche principale de la vaccination : disposer d’un système de santé solide qui peut faire bénéficier les enfants, génération après génération, des six vaccinations de base de manière systématique.
De nombreux pays ont encore beaucoup de chemin à faire pour augmenter la couverture des six vaccinations de base - par exemple, la couverture moyenne des trois doses diphtérie, tétanos et coqueluche (DTC3) dans les pays recevant des fonds de GAVI n’est actuellement que d’environ 65 %. Le responsable de la santé publique du district préfère se concentrer sur l’augmentation de la couverture des six vaccinations de base. Que l’introduction de nouveaux vaccins puisse faire perdre de vue cette priorité l’inquiète. Et elle est préoccupée par le fait que les pays investissent peut-être de manière disproportionnée dans les JNV aux dépens des services de vaccination systématique.
Qu’est-ce que tout cela a à voir avec GAVI ? GAVI et le Fonds mondial pour les vaccins de l’enfant allouent actuellement de l’argent par le biais de deux « fenêtres » principales - l’une pour les vaccins nouveaux et sous-utilisés, l’autre pour renforcer les services de vaccination existants. Les fonds pour les services existants ne sont pas pour les vaccins eux-mêmes, ils visent à renforcer le système existant. L’argent peut être consacré à la chaîne du froid, la formation ou le transport, par exemple. Dans les cycles 1 et 2 du financement de GAVI, un budget de $51,2 millions a été distribué. Sur cette somme, 83 % ont été consacrés aux vaccins nouveaux et sousutilisés contre seulement 17 % au renforcement des services existants. Autrement dit, la plus grande partie de l’argent est utilisé pour payer les vaccins plutôt qu’à renforcer les services vitaux de vaccination systématique dans les pays en développement. Est-ce là l’équilibre que nous souhaitons vraiment ?
GAVI n’a pas de politique particulière par rapport aux JNV ; chaque pays a ses propres politiques. Mais l’Alliance a soutenu que l’accès à tous les vaccins peut être amélioré en tirant les leçons des JNV de l’Initiative pour l’éradication de la polio (1). Et de nombreux pays utilisent déjà les JNV couplées avec les services systématiques pour augmenter la couverture du vaccin contre les oreillons. Le danger est qu’il y ait des « JNV rampantes », autrement dit que le rôle des JNV et la dépendance à leur égard soient progressivement de plus en plus larges.
Plaider en faveur de la vaccination systématique semble, en soi, plutôt ennuyeux. Pourquoi accorder aux services de vaccination systématique - définis ici comme un personnel de santé adéquatement formé disposant des ressources requises et accessible à la population - une telle importance ?
Quatre raisons :
- Par sa nature même, la vaccination de l’enfant exige un solide système de santé. Chaque enfant a besoin de plusieurs contacts avec le système de santé afin d’être complètement vacciné et il y a un flux constant de nouveau-nés qui ont besoin de se faire vacciner. La tâche qui consiste à maintenir une « population complètement vaccinée » est, par conséquent, sans fin et nécessite un effort soutenu. Les pays à faible taux de vaccination doivent donc développer des services de santé de vaccination systématique ; c’est la seule manière, en fin de compte, de garantir aux enfants une vaccination complète.
- Au mieux, les JNV sont excellentes : elles peuvent être amusantes, stimulantes et productives dans la mesure où beaucoup d’enfants se présentent (ou reviennent) pour se faire vacciner. De plus, elles peuvent jouer un rôle vital dans l’éradication de maladies. Mais les JNV ont un désavantage : celui de perturber. Une JNV de grande ampleur peut mobiliser beaucoup de personnes (sans parler de la disponibilité des équipements tels que les véhicules) pendant des semaines et peut se révéler onéreuse, en particulier si le personnel de santé reçoit des rémunérations supplémentaires pour le travail fourni en plus. Ces JNV ont donc un coût caché, à savoir le prix de détourner les infirmières et les autres ressources par rapport aux vaccinations régulières. L’attention du public est également détournée : il y a un risque que la vaccination soit considérée comme un événement spécial, plutôt que comme quelque chose d’automatique lorsqu’ un enfant arrive à un certain âge.
Il ne s’agit pas de faire un procès à toutes les JNV. Elles ont, bien sûr, un rôle à jouer dans la vaccination de populations très difficiles à atteindre ou dans le « rattrapage » quand certains enfants sont passés entre les mailles. Mais les JNV sont rarement une alternative pour soutenir le travail de vaccination systématique du système de santé. En vérité, si le système de vaccination systématique fonctionne bien, elles n’ont pas lieu d’être.
- Il faut être vigilant vis-à-vis des vaccins « sous-utilisés » parce que nous devons nous assurer qu’ils constituent le meilleur achat pour les pays dont le gouvernement dispose de petits budgets de santé. Les six vaccins de base sont relativement bon marché et leur rentabilité est largement acceptée. Mais l’Hib a-t-il sa place à l’heure d’allouer des fonds au contrôle du paludisme, aux médicaments contre la TB ou aux préservatifs ?
Des choix difficiles doivent être faits. Le fait qu’un médicament ou qu’un vaccin efficace existe ne signifie pas que c’est un bon achat pour un gouvernement. La communauté internationale travaille actuellement à promouvoir l’importance d’un certain nombre de mesures de santé publique. Il faut également des messages clairs sur la manière de hiérarchiser les nombreuses demandes en matière de dépenses.
- Finalement, le garçon d’Afrique orientale a reçu l’un des vaccins « sous-utilisés » que soutient GAVI. Sans GAVI, il ne l’aurait probablement pas reçu. Mais nous devons encore faire preuve de prudence ; y-a-t-il un risque que la vaccination contre l’Hib commence, puis s’arrête quand le financement de GAVI aura cessé ? Par le passé, avant la création de GAVI, on a vu des exemples de vaccinations qui ont commencé, puis cessé quand les fonds sont venus à manquer. Il y a peu de bénéfices à retirer d’un programme de vaccination à court terme pour la santé publique et il y a également des effets négatifs sur le moral des personnels de santé et du public si celui-ci s’arrête. Certains peuvent en conséquence perdre confiance en la vaccination. L’Hib est un vaccin relativement coûteux. Est-il réaliste pour nous d’espérer une continuité ?
A première vue, les JNV et les nouveaux vaccins semblent séduisants. Mais le défi le plus important consiste à vacciner les enfants du monde entier avec les vaccins les plus rentables et ensuite de développer ce système régulier en y ajoutant de nouveaux vaccins, au fur et à mesure de leur développement et au fur et à mesure qu’ils deviennent abordables. Il se peut que le responsable de la santé publique soutienne un argument difficile, mais elle a probablement raison sur le long terme : une solide vaccination systématique sera le moyen le plus efficace d’arriver à notre objectif commun, celui d’améliorer les chances de survie et la santé des enfants.
Catriona Waddington est économiste sanitaire et consultante auprès de GAVI et du DFID, le Département pour le développement international britannique.
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Pleins feux sur la vaccination • Mars 2001 - Contenu |
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